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Photo du rédacteurEmilie et Ophélie

B comme... Bordier, un métier de femme ?

Fin juillet 1816, Saint-Maurice des Noues, en Vendée.

Louise s'est levée tôt ce matin-là. Inquiète, elle n'a pas bien dormi et s'est extirpée de la chaleur du lit pour ne pas réveiller François, qui dort encore d'un sommeil agité. Lui aussi est inquiet, Louise le sait. Le jour n'est pas encore levé, mais elle s'affaire déjà dans la maison. Elle jette un coup d'œil aux enfants, et sourit. Eux dorment paisiblement, loin de se douter du drame qui se joue au village. Pierre appelle sa sœur dans son sommeil, sûrement rêve-t-il d'un nouveau jeu inventé hier. Louise lui caresse furtivement la tête, remonte la petite couverture sur les épaules minces du jeune garçon, puis sort en silence. Dehors, l'air froid lui mord le visage et ses chaussures usées s'enfoncent dans le sol boueux. Nous sommes en juillet, et pourtant Louise frissonne, s'enroulant du mieux qu'elle le peut dans son châle gris. La jeune femme lève la tête vers le ciel et pousse un petit soupir de soulagement. Au moins ce matin, les nuages sont partis. Il ne pleuvra pas aujourd'hui. La porte grince derrière elle, elle se retourne et croise le regard anxieux de Jacques, son beau-frère. Elle le regarde guetter le ciel encore endormi, avant de voir ses traits s'adoucir quelque peu. 

 "Allons réveiller François, dit-il prestement, il ne peut pas continuer à dormir par un ciel sans nuages ! " Louise s'amuse de l'impatiente presque enfantine de Jacques, et hoche la tête. Aucun d'eux ne parle pas du froid qui persiste. De la peur du gel qui peut anéantir les récoltes. Ils savent qu'il leur faudra attendre, attendre que cette nuit interminable prenne fin, que le jour se lève et que le soleil réchauffe les terres. Attendre de savoir si les récoltes peuvent survivre à cet été si étrange. Louise s'apprête à suivre son beau-frère, mais elle s'arrête sur le seuil de la porte, se retournant vers les champs encore détrampés. "Mon dieu, faîtes que ça dure..." 


Le beau temps n'allait malheureusement pas durer... Faute à un volcan. Mais ça, Louise était loin de s'en douter.

Quelques mois auparavant, le 5 avril 1815 sur l'île de Sumbawa en Indonésie, à des milliers de kilomètres du petit village tranquille de Vendée, le volcan Tambora entre en éruption. Si à la mi-avril l'île et ses environs retrouvent peu à peu un semblant de calme, les conséquences de cette éruption, l'une des plus violentes et des plus meurtrières du millénaire, vont se révéler dramatiques. En effet, l'année suivante est marquée par un refroidissement climatique mondial, certainement lié aux poussières de cendre qui réduisent le rayonnement solaire. L'année 1816 est ainsi connue pour être "l'année sans été". Les vendanges sont tardives, à l'image de la Bourgogne où elles débutent le 26 octobre, ce qui n'était pas arrivé depuis 1436 (23 octobre). Conséquences de ces conditions climatiques difficiles, les récoltes sont mauvaises et le prix du blé s'envole. La famine s'installe, les émeutes de subsistance font leur apparition. La France est d'autant plus touchée que la défaite de Waterloo quelques mois avant, en 1815, a laissé des traces : les troupes vainqueurs occupent le pays et doivent être entretenues (logées et nourries). 


La famille ROI, François, son épouse Louise et leurs enfants Louise et Pierre ne sont certainement pas épargnés par les mauvaises conditions climatiques et la disette. D'autant plus qu'ils ne vivent pas dans l'opulence. Ils exercent le métier de bordier, tout comme le frère de François, Jacques, et sa famille qui habitent avec eux.


Le bordier ou bordagier, est un exploitant agricole, travaillant dans une borde ou borderie. Même si ce métier est essentiellement exercé par des hommes (à 99% en moyenne), il ne leur ait pour autant pas réservé. Louise travaille la terre avec son mari et ses enfants et elle n'est pas la seule : c'est aussi le cas de sa belle-sœur Marie qui a épousé Jacques, le frère de François. Tous vivent et travaillent certainement ensemble. Ils ne sont pas propriétaires de leur exploitation et doivent payer une rente au détenteur du terrain. De ce fait, ils ne peuvent pas vendre ou léguer la borderie. Celle-ci n'est que de petite ou moyenne étendue, et est composée d'une maison, de labours, voire parfois de vignes. Selon Généanet, des années 1700 aux années 1900, le métier de bordier est exercé dans toute la France de l'Ouest. A l'époque, ce métier aujourd'hui disparu est très courant dans le Sud-Ouest, le Sud mais aussi en Vendée, et il n'est donc pas rare de croiser des ancêtres vendéens vivant dans les années 1800 exerçant cette profession. 



Au même moment, à peine quelques kilomètres plus loin à Antigny (4,4 exactement), la famille FERRET est dans la même situation. Charles, Jeanne et leurs enfants Louise, Marie, Mathurin, Hillaire et Julie sont également bordiers. Ils seront liés quelques années plus tard à la famille ROI, par le mariage de leur petite-fille Julie, avec le petit-fils de François et Louise ROI, Jean-Baptiste. Les deux jeunes gens ont ensemble plusieurs enfants, dont François Ferdinand, mon ancêtre.



Vingt ans plus tard, en 1836, François habite toujours à Saint-Maurice des Noues. Il est toujours bordier, métier qu'il exerce à présent avec ses enfants et leur famille. Louise, la fille de François et de Louise, a remplacé sa mère sur l'exploitation : Louise (mère) est décédée, le 24 décembre 1829. François lui survit quelques années, avant de décéder à l'âge de 68 ans, le 3 juin 1842 à Saint-Maurice des Noues. C'est son gendre Joseph THIBAULT, bordier évidemment, qui déclare le décès. 


Edition d'Emilie

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