Nouvelle destination pour cet article. Nous partons dans le Béarn entre Pau et Oloron Sainte-Marie à une époque où les moulins n’avaient pas encore disparu. Les villageois amenaient leur grain à moudre au meunier.
Le meunier et sa femme occupaient un rôle central dans la vie de la communauté. Le grain moulu permettait d’obtenir de la farine et par conséquent de faire du pain mais aussi des hosties. Les Français consommaient un kilo de pain par jour jusqu’en 1900. C’était la base de la nourriture dans le monde rural. Tout le monde connaissait par conséquent le meunier et sa famille. On prête aux meuniers l’image de voleurs. Il était facile de tricher sur la quantité de farine qui était obtenue à partir du grain qu’avait apporté le cultivateur. Le meunier prélevait une partie de la farine. Il existait aussi des meuniers charitables.
Les moulins appartenaient jusqu’à la Révolution à des seigneurs. Ils étaient exploités en fermage par les meuniers. Sous l’Ancien Régime, le moulin comme le four et le pressoir étaient soumis au droit seigneurial, les banalités (taxes). Le meunier percevait une partie de la farine en paiement de son travail et de l’utilisation du moulin. Après la Révolution, les moulins ont été confisqués, vendus et rachetés par de petits propriétaires et parfois même des meuniers. Je n’aborderai pas la partie du fonctionnement des moulins dans cet article. Je vous invite à lire cet article https://arbredenosancetres.wordpress.com/2018/11/23/t-comme-technique/ du blog L’arbre de nos ancêtres qui a réalisé une série d’article sur les meuniers pour le challenge AZ 2018.
La meunière et ses filles aidaient le meunier dans son travail. Elles faisaient office d’assistantes. Elles pouvaient recueillir le grain, le sélectionner ou faire la livraison de farine aux différents ménages et aux boulangers bien que les sacs soient lourds (jusqu’à 80 kg). Elles se chargeaient parfois de la partie commerciale. Le moulin pouvait employer d’autres personnes comme le garde-moulin (surveiller les meules en l’absence du meunier), le valet de moulin (nettoyer et enlever les pailles du grain à la main) et le chasse-meunier (transporter le grain). En l’absence d’un tel personnel, c’est bien évidemment la femme et les enfants qui se chargeaient de ces missions. Les femmes participaient activement à la meunerie.
L’enquête sur mes ancêtres meunières nous mènera dans plusieurs villes qui sont toutes limitrophes.
MONEIN
La première halte se fera à Monein. La ville est située à 25 km de Pau. Ses affluents comme la Baïsse, la Baysère et le Luzoué ainsi que ses nombreux petits ruisseaux ont permis de mettre les terres en culture (culture céréalière, viticulture, arboriculture) et d’avoir plusieurs moulins. On cultivait le blé, l’avoine, l’orge et le maïs. Les meuniers ont pu faire de la farine de blé et d’avoine (bien que moins digeste).
Généalogie des meunières
Catherine Tuheille est née en 1756 à Monein. C’est la fille d’un vigneron. Elle est âgée de 25 ans lorsqu’elle épouse en 1781, Bernard Lamarche (26 ans). Le couple aura 4 enfants dont Jacques. Catherine est meunière avec son mari au moulin de Laborde appartenant à Monsieur Lassalle. Il semble qu’ils soient locataires fermiers. Le moulin se situe dans la section de Marquemalle ce qui signifie « limite dangereuse ».
Monein était divisé en plusieurs sections c’est-à-dire des lieux-dits ou hameaux qui correspondent actuellement à des quartiers : Loupien, Serrot, Marquemale, Laquidée, Cabirau, Ucha, Candeloup, Coos, Trouilh, Castet, Yolette.
Catherine Tuheille décède en 1788 à l’âge de 31 ans, son époux Jacques meurt en 1806.
Le 27 février 1808, son fils Jacques Lamarche (26 ans) épouse Suzanne Puyade Couhat. Cette dernière âgée de 27 ans n’est pas issue d’une famille de meunier. Son père Jean Puyade Couhat est vigneron. Elle est mentionnée en tant que meunière. Elle doit aider son mari. Le couple travaille au moulin Lassalle-Bachaulet en 1811. Puis en 1816, au moulin Laborde Lassalle (section Marquemale). En 1817, ils sont présents au moulin de Paillé. Elle a eu 9 enfants dont Jean Etienne. Elle décède en 1833 à l’âge de 51 ans à Abos (nord-ouest de Pau) car son mari est meunier au moulin de Moustieuba. Elle n’est plus meunière mais ménagère. Ce dernier meurt en 1837 à Monein.
Marie Jungas est née vers 1798 à Monein. Elle est la fille de Jean Jungas et de Marie Saint-Laurent. C’est une fille et une petite-fille de meuniers. C’est tout naturellement que Marie devient meunière. Elle passe son adolescence au moulin de Laffitte puis au moulin de Guiraut.
ARBUS
Marie épouse ensuite en 1819, Jean-Bellocq-Gaillet à Arbus. Nous voici à la deuxième étape de notre voyage.
Moulin à Arbus sur la Bayse/Baïse (plan cadastral)
Autrefois il y avait plusieurs moulins à Arbus.
Notre héroïne est âgée de 21 ans au moment de son mariage, tandis que Jean a 29. Il est fils de meuniers. A cette époque, il était courant d’épouser quelqu’un de la même corporation. L’endogamie était particulièrement forte. Sa mère Marie Granet était meunière au moulin de la plaine, rue de dessous, section du bourg. Sa sœur Jeanne Bellocq-Gaillet est meunière à Abos. Elle épouse en 1820 à l’âge de 19 ans, un charron de Caubios. Il existait au sein d’une même fratrie plusieurs meuniers/meunières.
Marie Jungas et Jean Bellocq-Gaillet possédaient en 1842 une propriété à Pardies (à 8 km d’Arbus) qu’ils ont vendu. La propriété était constituée d’une maison, d’une grange, d’une basse-cour, d’un jardin et d’un enclos en nature de pré. Le meunier était souvent propriétaire et avait d’autres parcelles de terrain afin d’en tirer un revenu supplémentaire.
Le couple donne naissance en 1832 à Anne Bellocq-Gaillet.
Jean décède en 1874 à l’âge de 83 ans. Marie devient ménagère. Puis elle s’éteint le 2 avril 1881 sur Pau. Elle était âgée de 85 ans.
LASSEUBE
Notre périple s’achève à Lasseube. La Bayse et ses affluents ont fourni l’énergie nécessaire à la cinquantaine de moulins lasseubois. Les moulins à eau étaient alimentés par différents ruisseaux. Au XIXe siècle, la production moyenne d’un moulin à eau est estimée à 350 kg de farine par jour. Le meunier était tributaire de la météo et du débit de l’eau. Parfois en guise de relais, on trouvait dans certaines régions des moulins à vent à quelques kilomètres qui suppléaient les moulins à eau au cours des étés lors des sécheresses ou l’hiver avec les grandes gelées.
Catherine Escuret (27 ans) épouse le 19 janvier 1833 à Lasseube, Jean Etienne Lamarche (22 ans). Catherine est la fille et la petite-fille de tailleurs d’habits ainsi que d’une mère ménagère/couturière. Les meuniers épousaient par défaut soit des filles de laboureurs aisés ou soit des filles d’artisans comme c’est le cas pour Catherine. Elle devient meunière suite à son mariage. Elle rentre dans la grande famille des meuniers. Ce métier qui se transmettait de père en fils nécessitait un long apprentissage. Il fallait de nombreuses connaissances sur les différentes espèces de grains, sur les mécanismes du moulin afin de le réparer, sur les mélanges de farine… Ainsi, Jean Etienne est meunier comme l’était son père Jacques et son grand-père Bernard.
Catherine et Jean Etienne donnent naissance à Jean. Il choisit la profession de boulanger. Il épouse en 1860 à Arbus, Anne Bellocq-Gaillet. Il s’agit de la fille de Marie Jungas et de Jean Bellocq-Gaillet. Finalement Anne sera couturière puis ménagère.
Toutes ces meunières ne savaient pas signer. Les familles de meuniers sont restées dans la même zone géographique à savoir entre Monein, Abos, Arbus et Lasseube. Ces femmes ne sont pas toutes à l’origine issue du monde de la minoterie. Elles deviennent femmes de meuniers. D’autres en revanche sont filles de meuniers. Ces femmes étaient exposées à de nombreux dangers dans le moulin comme des doigts broyés, des vêtements coincés dans les meules lorsqu’elles assistaient leurs pères ou leurs maris. La poussière de farine pouvait avoir des conséquences sur les poumons ce qui affectait leur santé : inflammation des bronches, toux, sécheresse de la gorge. La vie d’une meunière était constituée de risques.
Les moulins traditionnels vont progressivement tomber en désuétude face aux énormes minoteries. Ils n’avaient pas la même capacité de production (350 kg contre 10 000 à 15 000 kg de farine par jour). Les familles françaises achetaient désormais le pain chez le boulanger plutôt que de le confectionner eux-mêmes ce qui occasionnait une perte de clientèle considérable pour les meuniers. C’est ce qui a contribué à ce que certains deviennent boulangers pour rester dans le milieu de la farine comme Jean Lamarche l’époux d’Anne Bellocq-Gaillet.
Et vous, avez-vous des ancêtres meunières ?
Edition d’Ophélie
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