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  • Photo du rédacteurEmilie et Ophélie

I comme... Itinérantes, ambulantes... Les femmes sur les routes

Il y a peu de temps, au cours de mes recherches pour un client, j'ai croisé parmi ses ancêtres un couple d'artistes ambulants. Cette vie sur les routes, je l'avais déjà étudiée par le passé via certains de mes propres ancêtres. Jeanne JOYEUX fait partie de ces femmes qui ont à un moment de leur vie parcouru les chemins. Pour débuter un voyage, il faut forcément commencer quelque part et pour Jeanne, ce quelque part se situe en Gironde, à Laruscade. Nous sommes le 27 décembre 1881 et la foire du nouvel an, qui aura lieu dans quelques jours seulement, est dans tous les esprits et sur toutes les lèvres. On ne s'attarde pourtant pas dehors pour en parler des heures durant avec ses voisins. Il gèle à pierre fendre et même les moulins ont l'air frigorifiés avec leurs ailes scintillant de blanc. Ce soir-là, alors que la nuit est déjà tombée, une petite fille pousse son premier cri. Elle s'appelle Jeanne et sa vie ne fait que commencer. Ses parents, Jean JOYEUX et Jeanne ALLAIN, habitent ici-même à Laruscade, une ville de campagne dont on retrouve une partie de l'histoire dans l'ouvrage de l'Abbé Jean BELLOUMEAU.  Laruscade, lieu de naissance de Jeanne

Nommé curé à Laruscade en 1839, il y décède le 14 septembre 1878. Son livre est un petit bijou pour la généalogiste que je suis, et ses notes historiques nous transportent dans le Laruscade du milieu du XIXème siècle. Enfin plus exactement dans le Laruscade vu par un homme qui aimait sa ville et sa région. Je ne suis pas sûre qu'il soit toujours complètement objectif, comme lorsqu'il écrit : "Vie moyenne : 33 ans. Très peu de mortalité parmi les enfants, quoiqu'on ne réclame jamais les soins du Médecins quand ils sont malades. On est persuadé qu'on ne peut les soulager. Dès leur naissance les enfants sont tous très-beaux et très-forts. (...) Salubrité : depuis 1836, les épidémies qui ont décimé les localités environnantes n'ont fait que peu de victimes à La Ruscade. Plusieurs personnes sujettes à des migraines fréquentes et très violentes ont cessé de souffrir après quelques mois de séjour à Laruscade."

Grâce à la description qu'il fait de sa ville, j'ai pu me faire une idée de l'environnement dans lequel est née la petite Jeanne. Laruscade est traversée et délimitée par trois ruisseaux, dont la Saye qui alimente plusieurs moulins à farine. "Elle est peu poissonneuse; (...) la rareté du poisson est due au grand nombre de pêcheurs et aux engins qu'ils emploient". Le Meudon lui "partage la Ruscade en 2 parties. Celle du midi est généralement plus fertile et mieux cultivée. (...) Les Terres labourables quoique généralement médiocres et peu fumées rapportent cependant. (...) Les vignes sont l'objet de soins si intelligents et si assidus qu'elles rapportent considérablement". L'Abbé parle également des fontaines, présentes en grand nombre, des marais, des foires, très anciennes et au nombre de sept. Il trouve la place du marché "charmante : Halle vaste". Parfois, il raconte des anecdotes sur les habitants : "Les Ribaniers de Clérat : Hommes et femmes de Clérat aimaient beaucoup à se parer de rubans" et les histoires que ces derniers lui racontent : "L'ancien propriétaire du Logis de Pont-aux-Pins m'a assuré qu'il existe sous son logis ou auprès un souterrain dans lequel, selon une tradition de famille, un trésor considérable est enfoui." Si vous comptez partir à la chasse au trésor, manque de chance. L'ancien propriétaire n'a pas voulu donner plus de renseignements au curé et "a emporté son secret. Le possesseur actuel de ce logis ignore l'existence de ce souterrain et du trésor qu'il renferme". Grâce à ce récit, on peut ainsi apprendre bien des choses quant à la vie de l'époque. Et logiquement, les personnes les plus à même de connaître bon nombre d'anecdotes sur la ville et la région en générale restent celles parcourant les routes. L'Abbé Jean BELLOUMEAU écrit ainsi : "Ce que je vais dire m'a été raconté par mon Père né à Laruscade en 1768; par une femme décédée à l'âge de 97 ans et qui, dans sa jeunesse avait parcouru toute la Gabacherie comme marchande ambulante". Effectivement, être itinérant n'est pas réservé aux hommes et l'on croise aussi des femmes sur les routes. Jeanne JOYEUX sur les routes...

Mais revenons à Jeanne Joyeux. Née à Laruscade, elle n'y reste pour autant pas longtemps. Elle part quelques temps plus tard avec ses parents à Saint-Christoly-de-Blaye en Gironde, lieu où elle épouse Amédée BEZIE, le 2 mars 1905. Issue d'une famille de cultivateurs, son mariage ne la dépayse pas, son mari exerçant lui aussi le même métier.  Jeanne donne rapidement naissance à son premier enfant, une fille appelée Fernande, née en 1906. La famille déménage ensuite à Baignes-Sainte-Radegonde, en Charente, où elle s'agrandit avec la naissance de Georges en 1908.  Quelques années plus tard, en 1911, la famille est de retour à Saint-Christoly-de-Blaye, en Gironde où Amédée et Jeanne exercent le métier de colporteurs et parcourent les routes. Certainement est-ce pour eux un emploi saisonnier, qu'ils exercent en plus du travail de la terre. En effet, être colporteur pouvait se révéler être un bon moyen d'avoir un complément de ressources, notamment durant la morte-saison. Ils vivent à ce moment-là avec leurs enfants Fernande et Georges ainsi qu'avec Jean CLAVERIE, un nourrisson né en 1901 à Mérignac. Le petit Jean ne portant pas leur nom, j'en ai déduit qu'ils devaient certainement le garder en nourrice. Sûrement encore une façon pour la famille de mettre un peu de beurre dans les épinards...  Les années passent et le 11 mai 1917, la famille s'agrandit à nouveau avec la venue au monde d'Irène à Coudurat, à Saint-Girons-d'Aiguevives en Gironde. La famille a donc à nouveau déménagé. Amédée continue de travailler la terre en tant que cultivateur. Jeanne, du haut de ses 35 printemps, n'a plus de profession. Je ne saurais dire s'ils gagnent toujours quelques sous avec le métier de colporteur mais si tel est toujours le cas, cela doit être de manière très ponctuelle. Ou peut-être ont-ils tout simplement stoppé une activité qui rapporte bien peu ? 

Le métier de marchand ambulant


En effet, parmi les différents métiers que regroupe le statut de marchand, le colporteur, aussi appelé marchand ambulant, est celui qui se trouve au plus bas de l'échelle sociale. A une époque où la population occupait encore en grand nombre les campagnes, les colporteurs parcouraient les routes et s'arrêtaient dans les villes, villages et diverses habitations isolées pour y vendre tout ce dont les habitants avaient besoin. La marchandise est alors aussi diversifiée qu'elle est de médiocre qualité. Ils vendent des objets de mercerie, de la petite quincaillerie (tissu, linge, rubans, fleurs artificielles, objets en fer blanc, jouets, pommades etc) mais aussi des livres peu coûteux. Pour autant, ils ne jouissent pas d'une très bonne réputation et la population se montre bien souvent réticente devant ces personnes jugées comme étrangères. Peu appréciés par la population, ils sont également étroitement surveillés par le pouvoir royal qui redoute entre autres qu'ils contribuent à propager la littérature populaire et à diffuser le protestantisme par la vente de leurs ouvrages, parfois imprimés en Allemagne ou à Genève.  De manière générale, tout déplacement d'un individu fait l'objet d'un contrôle, à l'image par exemple des passeports. Dès le XVIIIème siècle, les personnes souhaitant se déplacer hors de leur canton doivent ainsi régler la somme de 2 francs pour pouvoir se munir d'un passeport pour l'intérieur. Pour ceux partant au-delà des limites du pays, il faut compter 10 francs pour obtenir un passeport pour l'étranger. Si ces derniers sont délivrés par la préfecture et les sous-préfectures, le passeport pour l'intérieur est quant à lui du ressort des maires ou du préfet de police en ce qui concerne Paris. Si les passeports pour l'étranger existent toujours, l'usage de ceux pour l'intérieur fut peu à peu abandonné à partir de 1860. Au-delà des passeports qui font état des déplacements ponctuels, divers documents recensent les déplacements des personnes itinérantes. Ainsi, dès 1810 un carnet de circulation est mis en place, qui permet de suivre la circulation des personnes nomades. Quelques années plus tard, entre 1854 et 1863, c'est un "carnet spécial de saltimbanque" qui est créé pour les gens du voyage, les artistes ambulants et autres itinérants et non-sédentaires. Avec la loi du 8 août 1893, des registres d'immatriculation sont créés et tenus par les maires. Tout nomade faisant étape sur la commune est tenu de venir s'y faire inscrire. Y est alors noté la date à laquelle la personne en question s'est présentée, mais aussi des informations le concernant. Deux ans plus tard, le 20 mars 1895, le gouvernement organise un recensement de tous les "nomades, bohémiens, vagabonds" vivant en France.  Enfin, avec la loi du 16 juillet 1912 apparaît le carnet anthropométrique. Testé dès 1907 sur un groupe de nomades en Charente, ce carnet est désormais obligatoire pour chaque nomade âgé de plus de 13 ans. On y retrouve plusieurs renseignements, comme le nom, des photos (de face et de profil), les empreintes digitales, la description physique, la profession... S'il est clair que les nomades étaient étroitement surveillés et stigmatisés, avouons que pour les généalogistes d'aujourd'hui, accéder à un tel carnet rempli d'informations précises (et de photos !) et c'est la danse de la joie ! Les groupes de nomades détenaient des carnets collectifs dans lesquels étaient notés tous les membres de la famille. Ces carnets anthropométriques sont remplacés en 1969 par les carnets de circulation. N'hésitez pas à aller fouiller aux archives départementales si vous croisez un ancêtre itinérant. Vous y trouverez peut-être le double d'un carnet ou d'un récépissé, notamment dans la série 4M. Nous avons laissé Jeanne et sa famille en 1917, à Saint-Girons-d'Aiguevives. A la naissance de sa fille Irène, Jeanne ne travaille plus, ni comme cultivatrice, ni comme colportrice. Mais la jeune mère de famille retrouve rapidement le chemin des champs, à défaut de celui des routes. Lorsque Irène se marie en 1934, Amédée et Jeanne sont tous deux cultivateurs à Bayon, où ils habitent à présents. Si je ne sais pas s'ils continuent leurs activités itinérantes, ce qui est sûr en revanche, c'est qu'ils ont décidément toujours la bougeotte ! Le 16 mai 1955, Jeanne décède à Blaye, après avoir passé une bonne partie de sa vie à changer de domiciles et de villes. Pourtant, même en tant que colportrice, il y a des chances pour qu'elle n'ait vu de la France qu'une petite partie du Sud-Ouest. Mais qui sait ? Jeanne me réserve peut-être encore quelques surprises...


Et vous, avez-vous des ancêtres itinérants ?



Edition d'Emilie

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