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  • Photo du rédacteurEmilie et Ophélie

« Il est temps d’y aller … »

Dernière mise à jour : 24 oct. 2019



Le #RDV Ancestral est un projet mêlant littérature et généalogie. Il s’agit d’imaginer une rencontre avec un aïeul. On est alors transporté à son époque. La publication a lieu le 3e samedi du mois. Le but du jeu est de se servir des sources trouvées lors de nos recherches afin d’être au plus près de la réalité. Ce projet d’écriture mêle donc fiction et réalité.


Il y a des rencontres auxquelles on ne s’attend pas. Le ciel paraît très menaçant aujourd’hui. Le temps est très pluvieux en ce mois de juin, sortir sans parapluie serait de la folie. Je décide malgré tout de faire un tour en ville puis de longer les quais. La ville de Libourne a effectué des travaux pour embellir les quais. C’est une promenade agréable. Soudain, le vent se met à souffler et les arbres commencent à s’agiter. L’averse est imminente. Voici que de grosses gouttes commencent à tomber et je suis contrainte d’ouvrir mon parapluie. Le vent devient si violent qu’il me fait pleurer les yeux et m’empêche de voir où je vais. Une bourrasque m’arrache le parapluie des mains qui s’envole et atterrit quelques mètres plus loin sur le pas d’une porte, au numéro 5, rue Jean Jacques Rousseau. Tandis que je me précipite pour le récupérer, un homme apparaît dans l’encadrement de la porte. Il est de petite taille. Ses cheveux châtains sont impeccablement peignés. Il est très chic avec un complet-veston qui semble dater d’un autre temps. La veste, le pantalon et le gilet sont assortis. Il porte une chemise blanche ainsi qu’une cravate. Ses chaussures sont bien cirées. Je ne saurai pas l’expliquer, mais l’apparition de cet homme a eu un impact sur la météo. Le temps s’est éclairci laissant apparaître quelques rayons de soleil et le vent a cessé. Il se penche, ramasse mon parapluie et me le tend tout en me disant :

- « Je t’attendais, tu es en retard », en regardant sa montre à gousset.


Très étonnée je lui réponds : « pardonnez-moi, mais vous devez me confondre avec quelqu’un d’autre. Je ne vous connais pas ». En temps ordinaire, j’aurai continué mon chemin, mais je reste figée. Je l’observe, ses traits me paraissent un peu familiers.


Il déclare : « N’aie crainte, je suis Paul ton grand-oncle ». Cette scène me paraît surréaliste. Je n’arrive pas vraiment à identifier la personne qui se trouve devant moi. Ma réaction le fait sourire. Il insiste et me dit « Je suis Paul Georges Gimel ».


Il s’agit du petit frère de mon arrière-grand-père, le dernier enfant de la fratrie né en 1886.


Il m’invite à entrer chez lui, je le suis et il me guide vers un salon. Une jeune femme d’une vingtaine d’années est assise sur un fauteuil tenant un bébé dans ses bras. Elle ne semble pas s’apercevoir de notre présence. Paul me dit : « voici ma plus grande fierté, ma famille ». Nous sommes fin décembre 1911, il y a plusieurs jours, sa femme Germaine a mis au monde une petite fille nommée Valmonne. Il se tourne ensuite vers moi, et me déclare : « Je t’attendais avec impatience, car j’ai besoin de ton aide pour répondre à certaines questions. Mais avant, j’ai besoin de te montrer certains moments de ma vie qui me hantent toujours ». Il poursuit sur un ton taquin qu’en tant qu’enquêtrice du passé, il serait plus intéressant que je vive réellement l’action plutôt que d’avoir le nez dans les papiers. Je reconnais alors un trait de la famille Gimel, celui d’aimer plaisanter.


Il me tendit la main, je m’en saisis et il ajouta : « il est temps d’y aller… ». Le premier voyage nous projeta hors de la ville, dans un endroit qui m’était totalement inconnu, sale et très boueux. Paul arborait à présent un costume militaire. Il était couché dans la boue. Le temps était redevenu pluvieux, il faisait très froid. Je réalisais alors que j’étais dans une tranchée avec de l’eau jusqu’aux genoux et entourée par des soldats malodorants. J’entendis les feux des mitrailleuses. Je n’étais pas du tout rassurée. Nous étions en avril 1915. Paul ne semblait pas du tout préoccupé, ce qui n’était pas mon cas. Tout en se relevant, il m’expliqua qu’il avait été mobilisé pour la guerre en février 1915 et que désormais il était affecté au 3ème régiment d’infanterie coloniale. Là, nous nous trouvions à Ville-sur-Tourbe dans la Marne à 670 km de chez nous. Il s’emporta : « ah ces Boches ! Ils ne perdent pas de temps, ils creusent des trous jusqu’à nos tranchées et nous devons constamment redoubler de vigilance ». D’une voix tremblante, je lui ai demandé de ne pas crier si fort. Il me sourit et déclara : « personne ne peut nous entendre, ni nous voir, tu ne risques rien ». J’en déduis que j’étais une simple spectatrice naviguant dans les souvenirs de Paul. J’en fus soulagée.


Tandis que j’étais absorbée par la suite de son récit, je ne m’étais pas aperçue immédiatement que nous avions quitté ce terrible environnement. Soudain, une chaleur vint m’envelopper et je réalisais que nous nous trouvions à l’intérieur d’une salle de réunion chauffée (à Maffrécourt). Il me précisa qu’en mai 1915 sa compagnie s’était portée au secours de leurs camarades de la 7e RIC assaillis par l’ennemi. Malgré cette victoire, l’absence de ses proches lui pesait énormément. Il s’inquiétait pour sa mère qui était veuve depuis fin août 1914. Il espérait qu’elle se portait bien. Il avait hâte de revenir auprès d’eux. Il m’appris qu’il n’avait pas été que coiffeur, comme je le croyais. Il travaillait pour sa belle-famille qui tenait une distillerie dans la ville de Libourne. Il était voyageur en commerce. Il envoya plusieurs lettres à sa femme et à sa famille depuis Maffrécourt. Paul avait beaucoup de choses à me raconter et toutes les questions que je m’étais posées lors de mes recherches trouvaient enfin une réponse. Voici quelques étapes de son parcours tel qu’il me l’a mentionné : il était parti de Ville-sur-Tourbe pour Brézieux et ensuite Malmy. Fin mai 1915 son régiment quittait Maffrécourt. Les journées devenaient de plus en plus fatigantes. Il était sans cesse en alerte et en mouvement dans la forêt de Laignes. La guerre le mena d’une destination à l’autre, entre marche et trajet en auto. Le régiment a dû combattre sur le front avant de se retirer en octobre 1915.

Parcours de Paul Georges Gimel


Il changea continuellement de cantonnements. En février 1916, il fut transporté à Lyon. Le 23 février, il quitta la ville de Toulon.

Suite du parcours de Paul


Il saisit à nouveau ma main. Où allions-nous cette fois-ci ? La réponse ne tarda pas. Je me trouvais sur un immense paquebot parmi un grand nombre de soldats (environ 1 800). Ce croiseur devait faire 191 mètres. Paul Georges changea brusquement d’attitude. Il devenait de plus en plus inquiet et voici ce qu’il me dit : « j’ai lutté de toutes mes forces pour leur revenir, mais j’ai failli à ma promesse. Ophélie, il est bientôt l’heure ! » Je n’eus pas le temps de poser ma question qu’une énorme explosion retentit faisant tressaillir le bateau. Je fus saisi de peur en sentant le bateau s’enfoncer peu à peu dans la mer. « Paul je t’en prie, il est temps d’y aller… » lui criai-je. Nous étions le 26 février 1916, la Provence II était torpillée à 15 heures par un sous-marin allemand au large du cap Matapan, à 115 miles au sud-sud-ouest de Sapienza dans la mer Ionienne. Seuls 7 officiers et 500 hommes ont pu être sauvés. Le régiment de Paul avait été désigné pour combattre en Orient. Le bâtiment avait sombré en l’espace de 15 minutes.

Source : Wikipédia


Il me prit de nouveau par la main et nous nous retrouvâmes dans son salon. Là, je me remis de mes émotions. Il me répéta plusieurs fois « Tu sais Ophélie, j’ai lutté malgré le froid en me tenant à des planches, mais la mer a eu raison de moi. Je n’ai pas pu tenir ma promesse ». Paul fut en effet porté disparu. Il aurait fêté ses 30 ans, le 4 mars 1916. Il avait promis à sa femme de revenir comme beaucoup d’hommes partis sur le front mais la guerre décima beaucoup de familles. Il s’adressa de nouveau à moi « Ophélie, voici le moment venu de répondre à mes questions afin que je puisse partir apaisé. Est-ce que ma femme et ma fille ont survécu ? Mon épouse a-t-elle refait sa vie ? Ma famille était-elle présente à leur côté ?... »


Il était resté des années sans réponse à ses nombreuses questions. Je lui expliquai que Germaine demeurait toujours chez ses parents (les Fauché) avec Valmonne. Tandis que la famille Gimel était restée proche durant l’enfance de la petite : en témoigne la photo prise lors de la communion de Valmonne où mon grand-père pose à ses côtés.

Valmonne et Jean Gimel


Germaine s’était remariée seulement en octobre 1926, un mois après le jugement du tribunal qui déclarait constant le décès de son époux. Ce n’est qu’en 1928 qu’elle donna naissance à une autre fille. Valmonne s’est mariée en 1930. Lorsque sa famille déménagea, elle perdit le contact avec la famille Gimel. Je lui annonçais que son petit-fils Jean-Claude avait fait des recherches pour retrouver la branche Gimel et qu’il avait contacté mon grand-père durant les années 2000. A partir de cet instant, chaque année son petit-fils ne manquait pas de rendre visite à mon grand-père. Les descendants Gimel étaient ainsi réunis. Plus j’approchais de la fin de mes explications, plus les sons s’éloignaient. J’entendis ses dernières paroles qui résonnaient dans ma tête : « Ophélie, il est temps d’y aller… ».


Le réveil fut brutal, mon chat venait de me sauter dessus. Je m’étais endormie, allongée sur le canapé, bercée par le bruit de la télé. Le ciel était bas et sombre, le vent soufflait et la pluie cognait contre ma baie vitrée. Cette rencontre n’avait été qu’un rêve très mouvementé. Cela m’avait paru tellement réel de retrouver mon arrière grand-oncle et de vivre à ses côtés des événements datant de la Première Guerre mondiale. C’était mon imagination débordante qui m’avait permis de l’entrevoir bien que je ne l’avais jamais vu en photo. Je me levais et me dirigeais vers la cuisine pour prendre un verre d’eau, et je vis dans l’évier mon parapluie qui s’égouttait. Mon regard fut ensuite attiré par un papier coincé sous un repose-plat. Il y était inscrit : « Je te remercie. Je suis enfin apaisé. Il est temps pour moi d’y aller. Nous nous reverrons. Signé P Gimel ».


J’avais vécu assez d’aventures pour la journée. J’espère que les prochaines rencontres seront moins riches en émotion.


Edition d’Ophélie

Sources et Sitographie


1) Sources

Archives départementales de la Gironde :

· 4 E 23270 : mariage de Valmonne Gimel

· 4 E 23072 : mariage Germaine Faucher

· 4 E 23268 : naissance Rivière Jeanne Rose

· Registre matricule

· Recensements sur Libourne: 6 M 204 (1906-1911 ) et 6 M 205 (1921-1926)

Archives municipales de Libourne :

Acte de naissance et de décès de Paul Georges Gimel

Acte de naissance de Valmonne


2) Sites

Memorialnationaldesmarins.fr : sur le Naufrage du Provence II

Wikipédia : sur le Provence II

Epeb.over-blog.com : sur le Provence II

Gallica :

- Historique du 3e régiment d’infanterie coloniale pendant la guerre 1914-1919

- Historique du 7e régiment RIC février 1915-avril 1915

Mémoire des Hommes : Morts pour la France et JMO.

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