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Photo du rédacteurEmilie et Ophélie

Mobilités et migrations de nos ancêtres du XVIIIe siècle au XXe siècle.

Dernière mise à jour : 1 déc. 2019


Mes ancêtres furent mobiles à plusieurs échelles tant locale, régionale qu'européenne. Aujourd’hui nous avons l’impression de nous déplacer davantage qu'eux. Avons-nous une vision altérée de la réalité ?

Carte des départements d'origine de mes ancêtres


Comme vous pouvez le constater mes ancêtres étaient majoritairement originaires du Sud-Ouest de la France, plus précisément de la Nouvelle- Aquitaine. Mais j'ai également un fort pourcentage de Normands et de Loir-et-chériens. L'étude de leurs mobilités m'a permis d'observer certaines particularités.

On trouve différents types de mobilités géographiques


Des populations sédentaires ?


Au XVIIIe siècle, on a l'impression d'une sédentarisation de la population, mais était-ce vraiment le cas ?


Il existait une sédentarité des ruraux. Ils avaient peur de l'isolement en quittant leur village. Ils voulaient préserver le lien avec la terre. Il existait donc un enracinement dans le lieu d’origine plus ou moins fort en fonction des régions. Cet enracinement se retrouve pour la famille Gimel originaire de Sourzac (Dordogne). Ils sont restés attachés à leur village de 1743 à 1873. Les métiers liés à la terre étaient par conséquent moins propices aux déplacements que les autres.

Une mobilité habituelle ou micro-mobilité : les déplacements dans un espace familier


Les déplacements habituels sont les suivants : le marché, les alentours pour participer aux fêtes locales, les visites aux parents, les réunions lors des baptêmes, mariages ou enterrements, pour courtiser les jeunes filles des villages proches et les déplacements quotidiens. Guillaume Angely, (ancêtre direct 9e génération), lanternier à Oloron a été témoin au mariage de sa belle-sœur qui se déroulait en 1744 à Navarrenx à 23 kilomètres de chez lui. L’espace familier se situait entre 10 et 20 km. Il n’y a aucun déracinement. On parle également de micro-mobilité.


Dans l’ancienne France et jusqu’au XIXe siècle, les paysans parcouraient un trajet plus ou moins long pour aller traiter leurs vignes, champs ou ceux des autres. Ainsi Prosper Nicolas Armand Lefebvre (8ème génération) n’a pu être témoin lors du décès de son fils « étant à gagner sa journée à Mandeville » le 8 prairial an 8. Il était journalier dans le département de l'Eure et parcourait 13 km par jour pour aller travailler. Jean Azéma (6ème génération) propriétaire de chais et vignes à Saint-Emilion fin XIXe siècle parcourait 16 kilomètres par jour pour se rendre sur son lieu de travail.


Les populations bougeaient beaucoup mais sur de faibles distances.

L'attrait pour les grandes villes et les mobilités résidentielles


Les villes sont des espaces de mobilités intenses. Elles attirent sans cesse depuis le XVIIIe siècle et encore plus au XIXe siècle aussi bien des ruraux que des migrants d’origine urbaine. Ce sont des lieux pour une arrivée provisoire ou définitive. Bordeaux est une ville très attractive accueillant des mouvements migratoires importants. En 1740, elle étendait déjà sa zone d’attraction au grand Sud-Ouest (Charente, Limousin, Auvergne, Quercy, Agenais, Tarn et Pyrénées). Elle fut une simple étape pour certains de mes ancêtres mais pour d'autres l'installation fut durable comme pour la famille Gaudeboeuf depuis au moins 1836 jusqu'à 1952.

Beaucoup de nouveaux citadins arrivaient seuls mais ils étaient rarement isolés, bénéficiant presque toujours d’un parent ou d’une connaissance qui préparait et facilitait leur venue et leur intégration. Pierre Gaudeboeuf (trisaïeul) a quitté les Pyrénées Atlantiques pour venir s’installer dans le quartier de Meriadeck à Bordeaux. Son père était absent lors de son mariage en 1836. Il était désigné comme habitant à Navarrenx. Puis il s'est installé sur Bordeaux comme en témoigne son acte de décès datant de 1845. Pierre avait dû préparer son arrivée. J'ai retrouvé la trace également d'un cousin Etienne Gaudeboeuf qui s'était installé dans le même quartier quelques années plus tard. Il y avait donc un réseau familial qui était là pour accueillir le nouveau venu. Les migrants se regroupaient dans des quartiers spécifiques comme celui de Meriadeck. Les migrants venaient aussi bien de la campagne que d'autres villes, ils étaient considérés comme « étrangers » bien qu'étant français. Ils vivaient dans des conditions difficiles. Le quartier Meriadeck concentrait une grande partie des travailleurs, une population humble, pauvre, ouvrière, artisane et immigrée. Un vrai brassage ethnique. Meriadeck n'avait pas bonne réputation, mauvaises conditions d'habitabilité des ouvriers, réputé pour son « marché aux puces, ses ateliers de chiffonniers et ferrailleurs ainsi que pour ses nombreuses maisons closes ». C'était un lieu répulsif et dangereux où se mêlaient saleté, pauvreté et vices. Mais c'était un endroit où il y avait une forte solidarité entre les nouveaux arrivants et c'était aussi un des quartiers les plus accessibles pour se loger.

A l'intérieur des villes, il existait des micro-déplacements dus à une forte mobilité résidentielle. Les changements de logements seraient-ils plus élevés vers le milieu et la fin du XIXe siècle qu'aujourd'hui ? Les journaliers, ouvriers et employés de « service » comme les domestiques bougeaient beaucoup dans la même ville. Un changement de profession s'accompagnait alors d'un changement de résidence. Baptiste Gimel et sa femme Jeanne Dunoyer changèrent plusieurs fois de maison comme j'ai pu le constater en lisant les actes d'état civil et les recensements. En 1874, le couple habitait 11 rue des Moulins avec deux enfants. En 1876, ils déménagèrent 20 rue Tarreyre, la famille était composée de 5 personnes. En 1881, ils vivaient au 3 rue des Moulins. Ils étaient à cette époque 7 dans le foyer. En 1886, la famille s'est installée 101 rue Neuve. Le logement abritait 8 personnes. Il semblerait que dans ce cas précis, les changements d'adresse n’aient pas été liés aux changements professionnels de Baptiste mais davantage à l'agrandissement de la famille. Le couple cherchait des logements pouvant accueillir leur famille de plus en plus nombreuse. Jeanne Dunoyer a changé 6 fois de logements au sein de la même ville. Nos ancêtres déménageaient dès qu’ils le pouvaient pour « avoir mieux ».


En 1851, Auguste Labbé était domicilié à Chouzé-sur-Loire (Indre-et-Loire). Il ne vivait pas ni avec sa mère, ni avec sa sœur. Ces dernières étaient recensées à la Perruche. Il était hébergé chez Delaunay Urbain et sa famille dans le bourg. Urbain exerçait la profession de ferblantier. C'est auprès de lui qu'Auguste âgé de 15 ans a effectué son apprentissage. Il avait donc changé de domicile pour faire sa formation de ferblantier.

Les migrations temporaires ou saisonnières d'une région à l'autre de la France


Au XVIIIe siècle, les régions de montagnes voient le départ de nombreux hommes lié parfois au manque de ressources disponibles. Ils quittaient leur « pays » pour trouver d’autres sources de revenus pour leur famille. La possibilité d'avoir des salaires plus élevés que dans leurs campagnes les poussait sur les chemins. La migration temporaire pouvait s’avérer définitive surtout pour les célibataires. Il ne s’agissait pas d’une aventure solitaire : c'étaient des groupes de parents , de voisins ou d’amis qui organisaient leurs déplacements avec des itinéraires et des étapes. Sur place, ils pouvaient compter sur des réseaux d’entraide ou de solidarité grâce à d'autres membres de leur famille ou à des personnes originaires du même lieu. Stéphane Minvielle nous indique que les migrants exerçaient des activités variées, mais on les rencontrait surtout dans trois types de profession : les métiers de force et les activités rebutantes, l’artisanat (notamment dans le domaine de la réparation) et le commerce de détail. On trouve ainsi des portefaix dans les ports, des forgeurs…

Bertrand Gaudeboeuf avait quitté son Cantal natal, un petit village charmant, Apchon entouré de montagnes, pour s’installer à Navarrenx dans les Pyrénées Atlantiques. Il avait parcouru 568 kilomètres. Il y exerçait la profession de ferblantier (fabrication d'outils et ustensiles en fer-blanc). Sa venue dans cette ville était probablement temporaire, mais elle s'est avérée définitive. Bertrand était célibataire, il y avait rencontré sa future épouse. Ce périple fut très certainement lié à l'espoir de vivre plus aisément de son métier grâce à la présence d'une garnison. Il avait effectué ce grand voyage avec au moins un de ses frères que j'ai retrouvé dans la ville d'Oloron. Vous pouvez retrouver plus d'informations sur Navarrenx dans mon précédent article.


Le XIXe siècle fut le grand siècle des « migrations temporaires ». En 1852, on dénombre dans les communes françaises l’arrivée de 878 600 travailleurs saisonniers pour aider aux récoltes. Les migrations anciennes comme celles des vendanges, des moissons et des récoltes demeurent malgré l’apparition d’une nouvelle forme de migration. Le besoin d’ouvriers dans l’industrie et dans le bâtiment crée de nouvelles migrations urbaines. Un phénomène qui demeure aujourd’hui avec les migrants temporaires étrangers. L’été et l’automne sont les deux saisons de grande mobilité. Le Bassin parisien, les zones viticoles des Charentes, le Bordelais, le Bas-Languedoc ou la Bourgogne recrutent beaucoup de travailleurs saisonniers. Au XIXe siècle, les catégories sociales de ces migrants sont très variées. Ils reviennent pour la plupart chaque année au même endroit. Des liens se créent entre employeurs et ouvriers.

Les migrations internationales


II n’y avait pas beaucoup d’étrangers en France à l’époque moderne, moins que de Français installés à l’extérieur du royaume (Canada, Amérique du Nord, cap des Antilles = 200 000 durant tout le XVIIIe siècle). Trois groupes avaient quitté leurs pays pour s’installer en France : les minorités juives, les Irlandais jacobites arrivés par milliers dans les ports de la façade atlantique, chassés de leur pays par les persécutions politico-religieuses et les Suisses.

L'émigration galicienne remontait au XVIIIe siècle. De véritables diasporas de travailleurs étaient parties en Amérique mais aussi en Europe pour fuir des conditions difficiles (terres et salaires). C'était surtout des hommes adultes qui partaient ce qui avait eu des conséquences sur la nuptialité, la reproduction et l'économie de la Galice. Mon ancêtre Miguel Hermenegildo Corral avait quitté Sergude et parcouru 862 kilomètres pour s'installer en 1815 à Bordeaux. J'imagine qu'il avait pris le bateau qui l'avait mené au port de Bordeaux mais je n'en sais pas plus pour le moment.

La révolution industrielle de 1850 à 1900 avait encouragé l'immigration d'ouvriers venus de pays voisins tels que les Belges, les Piémontais et les Suisses. Plusieurs vagues successives d'immigration se sont déroulées avec l'arrivée des Italiens, Espagnols, Arméniens, Nord-africains, Polonais, Tchécoslovaques, Russes... La France a ainsi accueilli des réfugiés politiques, des populations d'anciens pays colonisés...


Il n'est donc pas rare de retrouver des ancêtres européens en remontant sa généalogie.

Les raisons de cette mobilité : mobilité contrainte ou voulue ?


Beaucoup d’événements pouvaient être à l'origine de ces départs . Les raisons étaient souvent : familiales, historiques, climatiques, économiques...

Les raisons familiales


Les déplacements liés au mariage constituaient une petite partie des mobilités du XVIIIe au XIXe siècle conduisant à quitter son village d'origine pour s'établir dans un autre. Les couples se mariaient le plus souvent dans le village de la femme même s'ils comptaient s'établir dans celui de l'homme. Il existait quelques exceptions où le mariage était célébré dans la commune du mari. Thérèse Dinclaux (mon arrière arrière-grand-mère) était née et demeurait au moment de la publication des bans en 1885 à Clermont (Landes). Le mariage fut célébré dans la commune de naissance et de résidence de Justin Lesfauries à Pouillon (soit à 13 kilomètres de chez elle). La mobilité pour trouver un conjoint se faisait dans une aire limitée, celui de l'espace familier (une dizaine de kilomètres) où il y avait déjà un réseau de relations. Pour se marier, une faible distance était nécessaire pour pouvoir se rencontrer et se fréquenter. Je l'évoque également dans mon article sur les rencontres amoureuses.

Il existait une mobilité post-matrimoniale : Catherine Poulain était originaire de Bosc-Benard Crescy (Normandie département de l'Eure). Elle y épousa Edmond Boulan vers 1668. Le couple s'installa à Theillement où elle mit au monde au moins 6 enfants. L'inverse était possible : Paul Dorothée Azéma habitait à Bologne (Haute-Garonne). Après son mariage avec Louise Mag, il s'était installé à Mondilhan où elle vivait.

Les raisons économiques : le travail


Les ruraux tout comme certains citadins étaient en mouvement. Mes ancêtres migrèrent à l'intérieur de leur département mais aussi dans ceux limitrophes. Jean Gaury et Jeanne Vignon qui étaient domiciliés en Charente-maritime s'installèrent en Gironde dans la commune de Bayas vers les années 1870.

Augustin Labbé, vigneron à Saint-Claude-de-Diray (Loir-et-Cher) s'installa ensuite à Fontaines-en-Sologne où il était devenu garde particulier comme l'atteste l'acte de naissance de son fils en 1835. A la fin de sa vie, il vivait dans la commune de Chouzé-sur-Loire en Indre-et-Loire département limitrophe du Loir-et-Cher. Il y exerçait la profession de journalier. C'était des mobilités liées à la recherche de travail, dans l'espoir de meilleurs gains.


Des mobilités imposées avec le service militaire (bien que certains étaient volontaires).


Jean-François Azéma, cavalier de la seconde classe de la 2e compagnie du corps du train des équipages est décédé à Perpignan en 1841. Il était originaire de Mondilhan (Haute-Garonne). Il se trouvait ainsi à 296 km de chez lui.

Pascal René Léopold Honoré Alexandre Boulant (arrière-grand-oncle) était natif de Saint-Didier-des-Bois (Eure). Il fut affecté au 75e régiment d'infanterie de janvier à octobre 1916. Voici les différentes étapes de son service militaire lors de la Première Guerre mondiale. Il fut mobilisé en Alsace à Thann puis envoyé vers Montbéliard. En février, il dut partir vers Verdun et alla au fort de Douaumont. Au mois de mars, il était à Haudainville et Damloup, sur l'arrière-front de Verdun. Il quitta le Grand-Est et passa ensuite au 32e régiment d'infanterie d'octobre 1916 à février 1918. Il a combattu dans le Nord de la France, dans la Somme puis dans l'Aisne. En février 1918, il passa au 22e régiment d'infanterie coloniale, il fut affecté en Champagne, puis à la 17e division d'infanterie coloniale du 6 décembre 1918 jusqu'au 1er avril 1919. Il intégra l'armée d'Orient pour partir en Macédoine, de Salonique à Skopje. Il passa au 227e régiment d'infanterie du 1er avril 1919 jusqu'à 1er mai 1919. Il fut envoyé vers la Bulgarie. Il fut placé au nord de Szegedin (Hongrie) face aux troupes bolchevistes. Puis du 1er mai au 26 mai 1919, il intégra le 157e régiment d'infanterie, pour continuer de barrer la route aux bolchevistes. Il aura ainsi parcouru une partie de l'Europe de l'Est de la Macédoine, en passant par la Bulgarie, la Serbie et pour finir en Hongrie.


Le 31 octobre 1919, il a été mis en congé à Saint-Didier-des-Bois. Son aventure était loin d'être finie puisqu'il sera réaffecté en 1921 au 2e escadron des trains. Mais ceci est une autre histoire. Le 31 mai 1950, il a pu bénéficier de la carte de combattant. Pour une fois l'histoire se finit bien puisqu'il a survécu à toutes ces batailles.


Pour retrouver le parcours militaire d'un autre soldat. Je vous invite à lire celui de Paul Georges Gimel dans mon #rdvancestral « Il est temps d'y aller... »


Certains de nos ancêtres ont dû également fuir leur village qui était en guerre. La guerre a donc été une des causes de mobilités forcées.

Vers les mobilités de loisirs


Le XXe siècle a amené des mobilités plus distrayantes : celles des mobilités touristiques qui se répandent à l'ensemble de la population. Nos ancêtres du XVIIIe siècle au XIXe siècle n'ont pas eu la chance de pouvoir bénéficier de vacances sauf pour les plus aisés. Les enfants qui allaient à l'école bénéficiaient jusqu'en 1914 d'un mois de congé d'été mais celui-ci servait à aider les parents pour les travaux des champs. Au XIXe siècle, les vacances se répandent dans toute l'aristocratie et la bourgeoisie française. Ces classes quittaient leur résidence principale pour se rendre dans leur résidence secondaire (à la mer ou à la montagne). A partir des années 1940, les congés d'été deviennent un moment où l'on voyage. Mon grand-père maternel m'a raconté que son oncle était palefrenier au haras de Libourne. Il l'emmenait en vacances à Vendays-Montalivet (Médoc) dans les années 1930 où il possédait une villa. Le voyage se faisait en calèche et se déroulait en plusieurs étapes afin que le cheval puisse se reposer ou alors changer de bête.

Une mobilité socio-culturelle et en fonction de l'évolution de la vie


Le cas des femmes


Les femmes sont plus sédentaires que les hommes mais il est très intéressant d'étudier leurs mobilités. Elles se déplacent davantage sur de courtes distances de moins de 12 kilomètres. Les parents les placent dans des familles. Elles suivent leur mari. Elles peuvent bénéficier d'un réseau familial (aîné, oncle/tante, neveu/nièce etc). Elles rejoignent un parent déjà installé. Les femmes de nos généalogies bougent-elles seules ou uniquement avec leur mari ?

Florestine Sophie Picard est née à Vraiville en 1855. Elle déménagea au cours de son enfance avec ses parents à Mandeville. Elle poursuivit sa vie de femme à Saint-Didier-des-Bois (Eure). La première étape se trouve à 2,4 kilomètres tandis que la seconde est située à 2 kilomètres. Bastiat Claire déménagea également avec ses parents de Saint-Vincent-de-Xaintes canton de Dax à Heugas (Landes).

Catherine Guillou était originaire de Theillement. C'est dans cette commune qu'elle se maria et mit au monde 5 de ses premiers enfants. Elle quitta Theillement avec son mari pour Basville (il s'agit de Berville-en-Roumois dans l'Eure) soit 2,2 kilomètres. Jeanne Marie Arrieu Debat quitta Loucrup canton d'Ossun (Hautes Pyrénées) avec son mari et ses enfants pour s'installer dans le département voisin à Mirepeix (Pyrénées Atlantiques). Ce phénomène s'explique car la femme était considérée comme une éternelle mineure passant de l'autorité paternelle à celle de son mari. Elle se déplaçait ainsi le plus souvent avec sa famille.

Des mobilités en fonction des métiers


Les laboureurs propriétaires se déplaçaient moins que les laboureurs locataires. Il y avait une sédentarité des laboureurs. Les vignerons étaient très attachés au sol nourricier. Ils se déplaçaient moins que les laboureurs. C'étaient des petits propriétaires mettant en valeur les terres qu'ils possédaient. J'ai pu observer cet enracinement au travers de ma famille Larqué d'Uzos (Pyrénées Atlantiques). Raymond Larqué ( vers 1699- 1767), Pierre Larqué, Jean Larqué et sa femme Rose Bernoulat étaient tous laboureurs. Ce n'est qu'à la 4e génération que Joseph changea de profession pour devenir charron. La famille était installée à Uzos de 1699 à 1830. Ce n'est que dans les années 1830 que la famille s'installa à Mirepeix à 15,9 kilomètres. Le cas des vignerons du côté de ma famille dans le Loir-et-Cher est identique.

On trouvait une mobilité plus marquée chez les journaliers, domestiques et petits artisans. Les domestiques étaient mobiles à plus de 70%. Noélie Héris (mon arrière arrière-grand-mère) était domestique sur Bordeaux à la fin du XIXe siècle. Elle déménagea plusieurs fois dans cette ville si bien que je perds sa trace dans les recensements. Elle était un peu trop mobile à mon goût mais je n'abandonne pas l'espoir de la retrouver.

Des mobilités en fonction de l'alphabétisation


J'ai pu lire que les migrants d'origine modeste ayant un faible taux de signature parcouraient de moins longues distances que des migrants ayant un plus fort capital socio-culturel. L’alphabétisation jouerait donc un rôle sur les mobilités de nos ancêtres ? Mes ancêtres qui migraient le plus loin savaient-ils signer ? Bertrand Gaudeboeuf, Apchonnais (Cantal) savait signer (XVIIIe siècle). Auguste Labbé et Victoire Tiercelin originaires de la région de Blois savaient également signer (XIXe siècle). Jean Azéma quittant la Haute-Garonne pour la Gironde également. Cette règle se vérifie en général à l'exception de mon ancêtre espagnol Miguel Hermenegildo Corral.

J'ai pu observer que ceux qui s'installaient dans les départements limitrophes savaient également signer comme Jean Gaury Charentais. En revanche pour les femmes ce n'était pas toujours le cas. Elles n'avaient pas toujours la chance d'avoir accès à l'éducation. Marie Françoise Rouzade qui venait de Dordogne et s'était installée en Gironde ne signait pas. Pour les mobilités habituelles ou micro-mobilités de mes aïeux : Prosper Nicolas Lefebvre n'écrivait pas.

Des mobilités en fonction des âges


Des migrations en fonction de certaines étapes de la vie :


  • Migration d’entrée dans la vie :

Chaque année 1/3 au moins d’une classe d’âge devait quitter la famille pour entrer en service dans les villes et généralement loin de leur village. Ma grand-mère maternelle a été placée vers l'âge de 12 ans comme bonne dans une famille bourgeoise. Entre 12 et 15 ans beaucoup de jeunes quittaient le domicile familial pour entrer dans la vie active. Certaines sont plus âgées entre 25-35 ans comme Marie Roy et Marie Françoise Rouzade. Marie Roy quitta Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne soit 79 kilomètres) en 1818, pour être placée sur Bordeaux comme domestique chez Monsieur Guillaume Tardieu receveur des droits de l'enregistrement judiciaire. Marie Françoise Rouzade quitta Carsac-Aillac en Dordogne (206,7 kilomètres, une grande distance) pour s’y installer également comme domestique.

  • Migration lors d’une grossesse ou d'un accouchement :

Marie Françoise Rouzade épouse de Jean Azéma a eu besoin de se rapprocher de sa famille pour la naissance de ses enfants. Le couple est retourné sur Carsac-Aillac où elle a mis au monde Alfred. C’était plus rassurant d'être entouré par sa famille et c'était peut-être lié à un aspect financier car ils n'étaient que des domestiques sur Bordeaux.

  • Migration lors d’un deuil ou en fin de vie :

Les migrations vers la fin de la vie ne sont pas rares. Lors d'un veuvage, la personne va s'installer chez ses enfants ou dans la commune d'où elle était originaire. Si vous ne trouvez pas le décès d'un de vos ancêtres pensez alors à étudier le cercle familial. Il est fort à parier qu'il a été accueilli par un de ses enfants vers la fin de sa vie. Gabrielle Célina Labbé et Léon Labbé quittèrent Cenon à la suite du décès de leurs parents Auguste Labbé et Victoire Tiercelin. Ils firent le chemin inverse (411 kilomètres) qu'avaient emprunté leurs parents quelques années auparavant et ils retournèrent dans le berceau familial à Blois.

La mobilité de mon grand-père paternel au XXe siècle


Mon grand-père est né à Grand-Quevilly non loin de Rouen en Seine-Maritime (étape 1). Il a vécu sûrement avant 1932 jusqu'en 1939 sur Grand-Couronne (étape 2) où il travaillait sur des chantiers publics notamment en effectuant des travaux de consolidation et de réfection. Il a été également accrocheur aiguilleur. Dans son livret militaire, il est indiqué comme étant ouvrier d'usine. En 1939, année de sa mobilisation pour l'armée, il était domicilié en Charente-Maritime (étape 3). En 1942 et 1943, il bougea dans le Maine-et-Loire (étape 4). Il était employé dans une scierie à Saint-Nazaire. De 1943 à 1946, il travailla pour une scierie forestière en Gironde (étape 5). De 1946 à 1948, il fut envoyé (STO) comme scieur dans la forêt noire à Laumesfeld (étape 6, dans la Moselle ) puis à Obermusbach en Allemagne (étape 7). En 1948, il est indiqué sur un récépissé comme demeurant à Altensteig (étape 8) située dans le Bade-Wurtemberg en Allemagne. De 1948 à 1950, il était de retour en France à Belin-Béliet en Gironde (étape 9). En 1952, il résidait à Lapouyade en Gironde (étape 10). De 1952 à 1954, il officiait comme démarcheur pour une scierie forestière de Bordeaux (étape 11). De 1955 à 1956, il habitait à Montguyon en Charente-Maritime (étape 12) puis à Ménesplet (étape 13) jusqu'en 1961. Il se fixa définitivement dans le Médoc à partir de 1961 (étape 14).

Étape 1 -2 : 13 km

Étape 2-3 : environ 536 km

Étape 3 -4 : 227 km

Étape 5-6 : 953 km

Étape 6-7 : 244 km

Étape 7-8 : 20 km

Étape 8-9 : plus de 1 000 km

Étape 9-10 : 100 km

Étape 10-11 : 50 km

Étape 11-12 : 70 km

Étape 12-13 : 42 Km

Étape 13-14 : 162 km

soit 3 417 kilomètres

A cela on peut ajouter toutes les mobilités de loisirs (vacances) et habituelles. Mon grand-père a été très mobile. Il était toujours prêt à prendre le train pour rejoindre sa terre natale.

En conclusion, mes ancêtres se déplaçaient beaucoup plus que je ne l’avais imaginé. Leurs motivations étaient sans doute liées au travail, au mariage et à la fuite d'un pays pour obtenir une vie meilleure. Ils ne se déplaçaient peut-être pas autant que nous vers des destinations lointaines. Les vacances et les loisirs ont diffusé une autre forme de mobilité au XXe siècle. Ces migrants sont des hommes, des femmes, des célibataires, des travailleurs, des couples mariés, des enfants et des veufs/veuves parcourant de longues ou courtes distances. Au XVIIIe siècle, celui qui a parcouru la plus grande distance fut mon ancêtre cantalien soit 568 kilomètres. Pour le début du XIXe siècle, il s'agit de mon ancêtre espagnol soit 862 kilomètres. Lors des guerres mondiales, nos ancêtres qui avaient été mobilisés parcouraient la France ainsi que d'autres pays. Mes aïeux circulaient aussi bien d'un département à l'autre qu'au sein d'une même ville.

Quelques ancêtres sont parfois si mobiles que l'on perd parfois leurs traces et il est alors inévitable de consulter les registres de plusieurs communes afin de les retrouver.


Emilie a évoqué dans son article intitulé "Famille de France et d'ailleurs", les mobilités européennes de ses ancêtres.


Vos ancêtres étaient-ils mobiles ou sont-ils restés attachés à une seule région ?

Édition d'Ophélie

Bibliographie


Abel Chatelan, « Les migrations temporaires françaises au XIXe siècle. Problèmes.


Méthodes. Documentation », Annales de démographie historique, 1967, pages 9 à 28 (www.persee.fr, document en ligne)


Jacques Dupâquier, « Sédentarité et mobilité dans l’ancienne société rurale.

Enracinement et ouverture : faut-il vraiment choisir ? » Histoire Sociétés Rurales, 2002/2 (volume 18), pages 121 à 135 (www.cairn.info, document en ligne)


Alain Faure, « Migrations intérieures et villes dans la France du XIXe siècle », Historiens et Géographes, octobre-novembre 1992, pages 151 à 160 (document en ligne)


Jeremy Hayhoe, « L'exogamie comme indicateur de la mobilité géographique en Bourgogne rurale au XVIIIe siècle », Annales de Démographie Historique, 2011/1, n°121, pages 187-212 (www.cairn.info, document en ligne)


Hervé Lacrampe, « Un monde ouvert sur l'extérieur : mobilité et migrations dans l'élection de Poitiers au XVIIIe siècle, 2006, Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, pages 97-113 (journals.openedition.org, document en ligne)


Marcel Larchiver, « Les congés et translations de domicile au XVIIIe siècle. Une source méconnue de la mobilité géographique en France , 1977, Population, pages 353-373 (www.persee.fr document en ligne)


Claire Levy-Vroelant , « A propos de la mobilité résidentielle au XIXe siècle, un espace à explorer. », Les Annales de la recherche urbaine, 1993, pages 15-24. (www.persee.fr document en ligne)


Stéphane Minvielle, « Famille et migration », La famille en France à l’époque moderne, Armand colin, collection U, 2010, chapitre 3, pages 236-250


Paul André Rosental, « La migration des femmes (et des hommes) en France au XIXe siècle, Annales de démographie historique, 2004/1 (n)107), pages 107 à 135 (www.cairn.info, document en ligne)


Sitographie


Des Aïeux et des hommes, Identifier les migrations de ses ancêtres


https://argonnaute.parisnanterre.fr : historique régimentaire


Au fil de mes recherches, #Geneathèmes des migrations, juillet 2018


Auprès de nos racines, Histoire d'un conscrit au XIXe siècle, mars 2019


Gallica : historique régimentaire (https://gallica.bnf.fr )


Sources utilisées


  • Actes d’état civil : naissances/baptêmes, mariages, décès

  • Recensements

  • Matricules militaires

  • Livrets de famille et livrets militaires

  • Lettre conservée par mon grand-père paternel pour sa retraite


Autres sources que vous pouvez utiliser :


  • Rôle des tailles

  • Registres des congés et translations de domicile en pays d'élection

  • Passeports pour l'intérieur et passeports internationaux

  • Grandes enquêtes nationales sur l’émigration et l’immigration des ouvriers, sur la question du travail agricole…aux Archives nationales

  • Les livrets d’ouvriers

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2 Comments


Emilie et Ophélie
Emilie et Ophélie
Jun 30, 2019

Je vous remercie pour votre commentaire. Le compagnonnage fait effectivement partie des nombreuses mobilités. Toutes les familles ont malheureusement leurs secrets. La mienne ne fait pas exception. Si vous avez besoin de conseils pour poursuivre vos recherches n'hésitez pas à faire appel à nous. Cordialement. Ophélie

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m.annabel
Jun 30, 2019

Merci pour ce travail remarquable, qui donne une autre vision des migrations de nos aÏeux...souvent bien français.

Mon grand-père (et je ne suis plus toute jeune) a fait le tour de France comme compagnon ébéniste et a rencontré ma grand-mère...(cf article "rencontres amoureuses"). Elle l'a suivi en abandonnant un enfant en bas âge...(secret de famille que mon père nous a révélé vers la fin de sa vie. Nous l'avons accompagné pour des recherches généalogiques mais...très peu d'informations...)

Merci !

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