Le voici, le voilà, le dernier article de ce Challenge ! Et comme j'ai beaucoup parlé de la Vendée tout au long de ce mois-ci, et bien je vais continuer ! On ne change pas une équipe qui gagne...
Saint-Maurice-des-Noues, 10 janvier 1808.
Pas un bruit aux alentours. Seule retentit la longue plainte de Louise qui déchire la nuit. François frissonne, lève les yeux au ciel. Il contemple quelques instants la lune, à peine voilée par quelques nuages qui s'étiolent paresseusement. Le calme revient, le silence l'enveloppe à nouveau. Quelle heure peut-il être ? Minuit ? 1h ? Il a perdu la notion du temps, il lui semble qu'il est là, dehors sur le perron, depuis des heures. Nouveau cri, il sursaute. Est-ce bien normal que le bébé mette autant de temps à venir ? Il ne lui semble pas que la naissance de son fils François ait été si longue. Il enfoui ses mains gelées sous ses vêtements et se décide à marcher un peu pour essayer de se réchauffer. Anxieux, il ne va pas bien loin et fait les cent pas devant la maison, plissant son front noirci par le travail. Son métier est inscrit sur son visage, il le sait bien, tout comme il laisse ses stigmates dans le paysage. Perdu dans ses pensées, les pleurs qui se font à présent entendre lui semblent lointains...
Le 10 janvier 1808, Louise DESPRES met au monde une petite fille, Louise. Le père de l'enfant, François ROY a 33 ans et exerce le métier de charbonnier. Ils habitent à Saint-Maurice des Noues en Vendée, département où quelques mois plus tard, Napoléon fait son entrée pour arriver le 8 août à Nantes.
Son enfance, La petite Louise la passe dans sa commune de naissance puis à Vouvant, commune non loin de là. Elle partage ses jeux avec son petit frère Pierre, leur aîné François ne vivant pas avec eux. Au cours des années, leur père laisse le charbon derrière lui et devient bordier, comme son épouse.
Vouvant, 24 décembre 1829, 4h du matin.
Louise est allongée, les yeux fermés. Dans peu de temps, la nuit noire cèdera la place au petit matin. Louise bouge un peu et se force à ouvrir ses paupières qui lui semblent à présent tellement lourdes. François, assis à son chevet, lui sourit. Louise le connaît bien, et la tristesse dans ce sourire qui se veut pourtant rassurant lui serre le cœur.
"J'aimerais voir le soleil quand il se lèvera" réussit-elle à articuler, d'une voix si faible que François doit se pencher pour l'entendre. Aussitôt, il se lève et enlève méthodiquement les divers objets qui s'entassent devant la petite fenêtre. Il hésite un instant, puis il l'ouvre, faisant entrer un air glacial dans la chambre. Il frissonne mais se dépêche, il enlève la buée et la neige accumulées sur les carreaux. Les doigts gelés, il referme maladroitement la fenêtre et la regarde, satisfait. Il se rassoit au chevet de son épouse et caresse machinalement le drap qui la recouvre jusqu'aux épaules.
"François, dit-elle dans un souffle, s'il-te-plait... Va chercher Monsieur le curé à présent".
Horrifié, François secoue énergiquement la tête.
"Il en est hors de question !" dit-il d'une voix bien plus forte qu'il ne le voudrait. "Tu ne vas pas..."
"François s'il-te-plait... Le temps presse. Et j'aimerais regarder les premiers rayons du soleil en étant certaine que mon âme ne se perdra pas en chemin."
Aucun mot ne sort de la bouche de François, mais il acquiesce, le cœur lourd. Il se met à penser aux enfants à qui il va falloir parler... Il regarde sa femme qui lui fait un petit signe de tête, pour l'encourager. Il va être seul à présent. Il se lève et sort de la pièce. Le temps presse.
Louise DESPRES meurt à 6h ce jour là. Le soleil, elle ne le verra pas inonder les champs de ses froids rayons hivernaux, faisant scintiller la terre gelée...
Vouvant, 17 février 1830
La jeune Louise attend sur le seuil de la mairie. A ses côtés, son frère aîné François, son père et son oncle Jean sont en pleine discussion avec Baptiste, son nouveau beau-frère. Depuis 9h ce matin, Louise ROY a troqué son nom de jeune fille pour celui de Joseph. Elle est à présent Louise THIBAULT. Elle regarde son mari saluer monsieur le maire et venir se joindre à la conversation animée des hommes. Tous sont désormais liés entre eux par le mariage de Joseph et Louise. Tous attendent Monsieur le curé et Louise se demande où l'homme de Dieu a bien pu passer. La lourde porte de l'Eglise, située à deux pas, reste résolument fermée. Rêveuse, le regard de la jeune femme se pose alors sur son mari. Attentif à une explication donnée par François, son beau-père, il fronce les sourcils, visiblement concentré. Ce dont ils parlent, Louise n'en a aucune idée. Elle a bien essayé d'écouter la conversation au début. Mais bien vite, ses pensées se sont envolées vers l'enceinte fortifiée de la ville. Elle a toujours aimé marcher vers la Tour Mélusine, donjon de l'ancien château fort. Lorsqu'elle était petite, sa mère lui racontait la légende de cette Tour, construite en 1242 par, dit-on, une fée. Le soir, bercée par la voix de sa mère, Louise s'endormait bien souvent avant la fin de l'histoire. Aujourd'hui, debout devant la mairie, elle se remémore les paroles de sa mère :
"La fée Pressine avait trois filles, dont une prénommée Mélusine. Un jour, Pressine jeta un sort à ses filles pour les punir d'avoir offensé leur père Elinas, roi d'Albanie. La malédiction de Mélusine sera la suivante : chaque samedi, ses jambes se couvriront d'écailles, telle une queue de serpent. Ce secret, personne ne devra le découvrir. Dans le cas contraire, Mélusine ne pourra jamais plus reprendre forme humaine. Un beau jour, la belle rencontre Raimondin. Le jeune homme, ébloui par la beauté de Mélusine, accepte de l'épouser à la condition de ne jamais chercher à savoir ce qu'elle fait le samedi. Les noces sont célébrées, le couple est heureux. La jeune mariée construit alors un château sur leurs terres, des cités et des forteresses aux alentours. La vie du couple est paisible et ensemble ils ont dix enfants, dix fils. Pourtant, le frère de Raimondin, jaloux, réussit à convaincre ce dernier de découvrir le secret de son épouse. Raimondin décide de briser le serment fait à Mélusine et la surprend dans son bain un samedi. Il voit alors la queue de serpent en lieu et place des jambes gracieuses de sa femme. Mélusine se met à hurler et s'envole par la fenêtre. On dit que certains samedi soirs elle revient hanter le château et l'on peut encore entendre ses hurlements".
Louise sourit. Enfant, dès qu'elle le pouvait, elle s'échappait de ses corvées et avec Pierre son petit frère, ils allaient jusqu'à la tour coller leurs oreilles aux vieilles pierres. Jamais ils n'avaient entendu le moindre bruit, et pourtant ils s'y rendaient chaque fois samedi. Se promettant de raconter cette histoire à ses propres enfants, Louise s'interroge quant à l'avis de Joseph sur la légende de Mélusine.
Louise regarde à nouveau les hommes présents à son mariage. Elle aurait tant aimée partager ce moment avec sa mère. Elle se sent un peu seule au milieu de toute cette gente masculine. Elle aurait voulu pouvoir parler à une femme, elle qui a tant de questions ! Mais ce n'est pas ses frères, et encore moins son père qui lui répondront ! A cette idée, elle se met à rougir. Elle ne peut pas non plus compter sur une présence maternelle du côté de Joseph, sa mère étant elle aussi déjà décédée.
Tout d'un coup, le regard des hommes rassemblés convergent vers l'Eglise, et ils stoppent net leur discussion. Louise tourne la tête pour voir ce qui a attiré leur attention. Monsieur le curé vient d'arriver.
Après leur mariage, Joseph THIBAULT et Louise ROY s'installe à Vouvant où Joseph est sabotier. François, le père de Louise vit avec eux et travaille la terre comme cultivateur. En 1833, Louise donne naissance à Jean Baptiste puis la famille déménage à Saint-Maurice-des-Noues, lieu de naissance de Louise. Le père de cette dernière a fait le déplacement lui-aussi et habite toujours avec eux. Les années passent et la famille s'agrandit avec les naissance de Marie-Louise en 1835 et de Louise en 1838. Joseph délaisse les sabots pour le grand air et devient bordier.
Durant ces années, il n'y a pas d'indication sur le métier de Louise. Non pas qu'elle n'en a pas, mais à aucun moment on ne trouve d'allusion faite à une profession, ou même à une absence de profession. En tous cas, il est assez probable que Louise se consacre à ses enfants et ne travaille que lorsque le besoin s'en fait sentir. D'autant plus qu'elle connaît d'autres maternités, mettant au monde Jean Joseph en 1841 et François en 1847. La famille part alors s'installer à Antigny.
Antigny, été 1863
Le soleil est à peine levé mais Louise ne l'a pas attendu. Elle a pris le chemin des champs tôt ce matin et malgré l'heure, elle sue déjà à grosse gouttes. Elle lance un regard exaspéré à son fils Joseph qui lui tend un quignon de pain. Elle refuse d'un mouvement de tête, mais le jeune homme insiste.
"Tu n'as rien avalé ce matin, hors de question que tu travailles le ventre vide !"
Louise bougonne. "Je fais bien ce que je veux non ?"
Un homme s'approche d'eux, fronçant les sourcils. C'est Jean Baptiste, son autre fils, bien décidé à soutenir son frère.
"Mange on te dit ! Tu crois que tu nous sera utile si tu tombes dans les pommes ? Ca nous causera du travail en plus" dit-il l'air fâché, avant de rajouter tout bas "et bien des soucis".
Louise soupire. Depuis la mort de leur père l'été dernier, ses fils la surveillent comme le lait sur le feu. "Et puis que dirais-je à tes futurs petits-enfants hein ? Qu'ils ne connaissent pas leur grand-mère parce qu'elle était trop têtue pour écouter ce qu'on lui disait ?" renchérit Joseph.
"Ah justement, parlons-en des petits enfants ! répond Louise. Ton frère s'est marié au printemps et a déjà un fils avec son épouse, dit-elle en lançant un regard désapprobateur à Jean-Baptiste, lui montrant sa désapprobation de concevoir un enfant avant le mariage. Pendant ce temps, tu es toujours sans épouse toi !"
Scandalisé, Joseph réagit aussitôt "J'ai seulement 21 ans ! Et puis tu sais bien que je travaille comme domestique pour assurer une vie confortable à ma future famille !"
Louise sourit. Elle a réussi à lui faire oublier cette histoire de pain. "Oui oui répond elle, un petit sourire malicieux accroché aux lèvres. 21 ans... Déjà... D'ailleurs tu devrais être chez tes employeurs à l'heure qu'il est, et non à nous accompagner aux champs !"
"Justement, c'est eux qui m'ont permit de..." commença Joseph.
Jean-Baptiste, qui assise amusé à la scène, décide de couper court au manège de sa mère. "Bien, nous avons tous du travail qui nous attend ! Joseph retourne là où tu devrais être s'il te plait !"
Joseph ouvre la bouche, prêt à répondre, puis se renfrogne avant de s'éloigner en grommelant. Jean Baptiste s'amuse de l'air triomphant de sa mère, puis ajoute tout sourire "Bon et toi je te préviens, je ne reprendrais le travail que lorsque tu auras fini ton quignon !"
Depuis l'été 1862, Louise est veuve. Si je n'avais pas connaissance d'un quelconque métier jusqu'à présent, avec le décès de son mari, les actes se mettent à parler. Louise prend le chemin des champs et devient ménagère. (Les ménagères sont des femmes travaillant la terre, terre qui leur appartient. Je leur ai d'ailleurs consacré un article dans ce challenge à la lettre M).
Au printemps 1863, son fils Jean Baptiste se marie et s'installe chez elle avec sa nouvelle épouse Louise COUE, déjà bien enceinte. Joseph, un autre de ses fils, vient se joindre à la petite troupe réunie et tous partagent le même foyer. Parfois ouvrière, parfois cultivatrice, Louise travaille et tient son rôle de chef de ménage dans un foyer où s'épanouissent ses enfants et petits-enfants.
En 1876, Louise vit toujours entourée d'enfants : ceux de son fils Jean Baptiste et de son épouse : François 13 ans, Joseph 11 ans, Baptiste 9 ans, Louis 7 ans, Henri 5 ans et Marie 1 an, qui est suivie deux ans plus tard de la petite Henriette. Mais aussi ceux de son autre fils Joseph qui a fini par se marier. Sa femme a mis au monde Louise 3 ans et Auguste 1 an. Noémie vient agrandir la fratrie quatre ans plus tard.
En 1881, alors que Louise prend de l'âge, elle cède sa place de chef de ménage à son fils Joseph et apparaît comme étant sans profession.
Antigny, 28 novembre 1886.
"Joseph est avec les enfants ?" demande François à son frère, tout en pressant le pas. "Tu vas trop vite, attends moi !"
Jean Baptiste s'arrête pour l'attendre. "Excuse moi, j'ai envie d'en finir... Je ne sais pas, sûrement est-il aux champs, le travail lui vide la tête qu'il dit."
François hoche la tête et ils reprennent leur marche, calant leur rythme pour avancer côte à côté. Arrivé devant la porte de la mairie, Jean Baptiste essuie discrètement une larme. Il ouvre la bouche pour accuser le froid de faire couler ses yeux, puis se ravise. François n'est pas dupe. Emboitant le pas à son frère, il entre, résigné à annoncer la triste nouvelle.
Louise décède le 27 novembre 1886 à Pouzac, à Antigny. Elle meurt à presque 79 ans, dans son domicile. Ce sont ses fils Jean-Baptiste et François qui viennent faire part du décès de leur mère. Elle sera restée veuve pendant vingt-quatre ans. Veuve mais pas seule, entourée de ses enfants et de ses nombreux petits-enfants.
C'est ainsi que ce fini ce Challenge, qui j'espère vous aura plu. Je vous remercie en tous cas de nous avoir lu et vous dit à bientôt pour de nouvelles aventures généalogiques !
Edition d'Emilie
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