Fermez les yeux, et imaginez vous :
Un matin de janvier, dans la région bordelaise, sur une route de campagne. Partout, la nature s'est parée de ce blanc scintillant, signe qu'il a gelé cette nuit. Au loin, le soleil se lève tout juste et n’a pas vraiment réchauffé de ses faibles rayons la campagne encore endormie.
Je jette un coup d'œil au chiffre qui clignote sur le tableau de bord de ma voiture. Température extérieure : -1 degré. Température ressentie par moi-même ce matin au moment de dégeler le pare-brise ? – 8000 degrés (au moins). Bref, vous l'aurez compris, il fait froid. Attentive à la route, j’écoute la radio d’une oreille distraite, quand un mot m'interpelle : « recensement ».
Je tends l'oreille : « une campagne de recensement aura bientôt lieu dans un certain nombre de régions, dont la région bordelaise. Elle est obligatoire et … »
Moi qui cherchais une accroche à mon prochain article sur les recensements, je suis aux anges !
Toujours d’actualité aujourd’hui, les recensements français servent notamment à connaître le nombre de personnes vivant en France, commune par commune. Sont également collectées des informations pour chaque personne, comme le sexe, l’âge, la profession, le logement (taille, type), les déplacements quotidiens ou encore les modes de transport.
Des agents sont chargés de nous remettre les documents à remplir et peuvent nous aider à le faire. Chose qui n'existait bien évidemment pas à l’époque de nos ancêtres, nous avons aujourd’hui la possibilité de remplir le formulaire directement sur internet.
Aussi appelés dénombrements de population, les recensements ne datent pas d’hier.
Déjà, sous l'Empire romain, les personnes étaient comptées afin de répartir les impôts.
Petite histoire des recensements
Le premier recensement national
Nous concernant, le premier recensement national a eu lieu en 1328. C'est le « Recensement des paroisses et feux des Bailliages et Sénéchaussées de France ». (Le mot « feux » signifiant dans ce cas présent le foyer, la famille).
Ce dénombrement est le premier à nous donner une estimation globale de la population française, notamment avant l'épidémie de peste qui décima l'Europe (la peste noire ayant eu lieu au milieu du XIVème siècle).
Ce sont les officiers royaux locaux qui réalisent ce recensement pour Philippe VI de Valois, arrivé au pouvoir en avril 1328.
Bien sûr cela lui permet de connaître le nombre d'habitants du Royaume (entre 16 et 20 millions) mais surtout cette démarche s'inscrit dans un but fiscal, afin d'établir le montant des impôts.
Les recensements sous l'Ancien Régime
Sous l'Ancien Régime, les recensements se font plus réguliers mais ils sont assez succins et pour la grande majorité ne sont pas nominatifs. En effet, leur but est alors de calculer le montant des impôts à lever. On y trouve ainsi le nombre d’habitants que comptait une paroisse, pas leurs identités.
Les recensements sont également souvent approximatifs, car étant réalisés par estimation. Ainsi, on commence par évaluer le nombre de familles avant de le multiplier par un coefficient compris entre 4 et 5. Ce n'est que plus tard que l'on comptera chaque membre de chaque foyer.
Le premier recensement national ET nominatif est celui de 1774. Cependant, on y trouve seulement le nom du chef de famille ainsi que le nombre de personnes vivant au sein de son foyer. L'identité des membres de sa famille nous reste malheureusement encore inconnue.
Les recensements à partir de la Révolution
Après la Révolution, plusieurs lois se succèdent concernant les recensements.
Celle du 22 juillet 1791 propose un recensement général de la population. Puis le 10 vendémiaire an IV, il est décidé que les recensements seront dorénavant tenus et conservés en tripe exemplaires. Si l'interprétation laisse encore à désirer et que l'application de ces recensements est plus ou moins bien réalisée, on entrevoit cependant le début des recensements modernes.
A partir de 1836, les recensements sont mieux organisés. Nominatifs, détaillés, ils ont lieu tous les 5 ans sauf exceptions, notamment en temps de guerre :
le recensement de 1871 n'a pu être réalisé qu'en 1872, en raison de la guerre de 1870. L'armée prussienne occupe alors une partie du territoire français.
les recensements de 1916 et de 1941 ont été annulés. En cause, la Première et la Seconde Guerres Mondiales.
Depuis 2004, la périodicité quinquennale a cédé la place à un nouveau système : on distingue les communes de moins de dix mille habitants à celles de plus de dix mille habitants (pour lesquelles une enquête est réalisée tous les ans auprès d'un échantillon de population).
Recensements et généalogie
Pour les généalogistes, les recensements sont une source précieuse. Suivant l’époque et le lieu, on peut y dénicher de multiples renseignements.
La liste des habitants est établie famille par famille. Au sein d'une famille, apparaît, dans l'ordre :
* le chef de famille (le père ou la mère si elle est veuve, non remariée et que ses enfants sont trop jeunes pour être chefs de famille à leur tour),
*sa femme,
*ses enfants.
*Parfois on peut également trouver les époux et enfants des enfants, les aïeux ou autres parents habitant avec eux, les domestiques, les apprentis logés à demeure, les enfants en nourrice, les locataires, etc.
Pour chaque personne de la famille, des informations sont données :
Le nom et le prénom
Le lien avec le chef de famille (femme, enfant,...)
Le statut marital (marié(e), garçon ou fille, veuf(ve)…
Le sexe
Il peut également y avoir en plus suivant les recensements :
L’âge / l’année de naissance
Le lieu de naissance
La profession et le nom de l'employeur.
On peut également trouver une case "Observations". Même si elle n'est pas souvent complétée, lorsqu'elle l'est elle peut nous fournir de précieuses informations sur la personne en question (indigent, aveugle, borgne, bébés en nourrice, enfant naturel, mari en Amérique, apprenti, élève en internat, personne malade ou hospitalisée, pensionnaire d’hôtel, religieuse, etc.).
Les recensements nous permettent ainsi d'en apprendre plus sur nos ancêtres.
Ils nous donne des informations quant à qui réside au sein du foyer à un moment donné (les enfants vivent ils avec leurs parents ou chez les grands-parents, chez une famille en tant que domestique, etc) ?
Ils nous permettent de compléter les fratries, de confirmer et recouper les informations que l'on possède déjà, ou encore de déterminer avec plus de précision le niveau de vie de nos ancêtres.
Certains recensements peuvent se révéler être de vraies mines d'or, et notamment certaines années. C'est par exemple le cas avec ceux de 1851 dans un certain nombre de communes. Prenant tout une double page, les informations recueillies sont multiples :
-Nom de famille, prénom
-Profession
-État civil (marié(e), veuf ou veuve, garçon ou fille)
-Âge
-Nationalité (français d’origine, naturalisé français, étranger)
-Culte (Catholiques romains, des églises réformées de France où calvinistes, de la confession d’Augsbourg ou luthériens, israélites, autres cultes ou communions)
-Maladies ou infirmités apparentes : aveugles, borgnes, sourds et muets, aliénés, affligés d’une déviation de la colonne vertébrale, de la perte d'un membre, pieds bots.
Entre exemples et petits bouts de vie
Le foyer tel qu'on le connaît aujourd'hui est bien différent de celui de nos ancêtres. Ces derniers étaient parfois nombreux à se partager la même maison.
Je vous donne un exemple : 1856, Tercis-les-Bains, département des Landes. Le foyer que je recherche est constitué de 8 personnes : Quiteyrie Candau, veuve, vivant avec Jean Lesbegueris, son fils , Marie Datcharry, la femme de ce dernier et leurs 3 enfants, Marie (3 ans), Jeanne (2 ans) et Jean (1 an). Vivent également avec eux deux domestiques, Jean Lesbegueris et Jean Gaillard.
Autre exemple : 1861, toujours à Tercis-les-Bains. Au milieu des autres noms qui noircissent le papier, le nom recherché finit par me sauter au yeux. Jean Castagnes, laboureur, âgé de 54 ans. Chef de famille, il vit avec sa femme, Marie Darges, et 5 de leurs enfants : Pierre (17 ans), Marie (24 ans), Marie (14 ans), Marie (12 ans) et Roze (5 ans). L'une des filles (Marie, celle ayant 24 ans) est mariée. Cela ne l'empêche pas de partager le foyer de ses parents avec son mari Antoine Lesbegueris ainsi que leurs 3 enfants, Célestin (4 ans), Auguste (3 ans) et Pierre (1 an). Une aïeule vient compléter le tableau. Il s'agit de Marie Lavielle, aïeule de Marie Darges.
C'est que ça commence à en faire du monde !
Grâce aux recensements, on peut parfois suivre la vie d’une famille de génération en génération. Et quand la famille disparaît d'un recensement à l'autre, à nous de trouver la cause !
C'est par exemple le cas d'Amanda, sœur d’une de mes ancêtres. Elle apparaît en 1866 en compagnie de ses parents et de certains de ses frères et sœurs. Elle a alors 3 ans. Idem en 1872. Je la retrouve quelques années plus tard, en 1876, non plus recensée au domicile de ses parents, mais vivant avec une jeune femme de 26 ans, préposée au poste de péage. Amanda est alors notée comme étant sa domestique. Au recensement suivant, Amanda n'apparaît plus, ni chez la jeune femme, ni dans une autre famille. Elle a certainement dû quitter le village. Peut-être s’est-elle mariée et s'est-elle installée ailleurs avec son époux ? Ses parents n’apparaissant plus non plus, elle a aussi bien pu partir avec eux. Il s'agit alors de percer ce mystère, mais cette histoire, je vous la garde pour un autre article...
Attention pièges et erreurs en vue !
Nous sommes d'accord, les recensements sont un vrai plus pour les personnes à la recherche de leurs ancêtres.
Mais attention cependant à ne pas avoir une confiance aveugle dans ces documents. En effet, les recensements ne sont pas toujours très fiables et certains contiennent des erreurs.
Ophélie me parlait d'une de ces ancêtres née à Bordeaux notée dans les recensements comme étant née à….... Bilbao ! Alors certes, la prononciation n'est pas très lointaine…. Contrairement à la distance qui sépare ces deux lieux ! Ce genre de situation n'est pas unique. Il m'arrive assez fréquemment de trouver des erreurs de dates, d'âge ou autre dans les recensements. Sans parler de l'orthographe des noms qui peut différer d'un document à l'autre. Mon ancêtre Quitteyrie SAPHORE se retrouve de temps en temps sous le nom de Julie QUITTEYRE. De la même façon, les prénoms de baptême, les deuxièmes prénoms ou encore les surnoms remplacent souvent le prénom sous lequel nous connaissons notre ancêtre. Sans compter sur le scribe qui peut mal comprendre (surtout si la personne a un fort accent local, ou si le scribe est un peu sourd par exemple) ou même sur notre ancêtre qui, ne sachant pas toujours écrire, ne connaît pas forcément l'orthographe de son propre nom. Libre alors au scribe de le noter comme il le pense.
Petits détails pratiques pour la consultation des recensements :
*Où les trouver ?
Vous les trouverez aux archives départementales, sur place en série M (population) ou en série F (commune). Vous pouvez aussi y accéder pour certaines communes directement sur le site en ligne des archives.
*Comment sont-ils classés ?
Le classement ne se fait pas par ordre alphabétique. Il se fait par secteurs : par quartiers, rues, habitations. Si vous connaissez déjà le lieu d'habitation de votre ancêtre, vous pourrez gagner du temps. Dans le cas contraire, j’espère pour vous que le lieu recherché est un petit village de peu d'habitants…. Dans le cas contraire, il vous faudra un peu (beaucoup) de patience pour tout étudier !
Edité par Emilie
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