Au XIXe siècle, une des professions les plus fréquentes en France était celle de domestique. Le métier tend à se féminiser avec l’expansion industrielle. Le nombre de domestiques masculins diminue au cours du siècle. Les servantes sont présentes aussi bien en ville qu’à la campagne. Elles travaillent chez des particuliers (maisons bourgeoises, fermes…) mais aussi pour différentes institutions religieuses ou laïques : abbayes, établissements hospitaliers et charitables, maisons de retraites… J’évoquerai essentiellement dans cet article les employées de maison mais pas les domestiques agricoles (comme les servantes de fermes) ni les domestiques d’institutions.
Les « domestiques » au XIXe siècle-début XXe siècle
Les familles aisées avaient besoin de domestiques pour entretenir la maison et le jardin afin de pouvoir tenir leur rang, leur prestige. Le nombre de domestiques variait en fonction des revenus de la maison.
Qui étaient ces femmes ?
Les domestiques étaient soit des femmes de la classe paysanne venant parfois de différentes régions ou des femmes de faibles conditions sociales. Elles choisissaient de s’installer en ville. Ces femmes peu ou pas instruites trouvaient parfois une place dès l’âge de 12 ans. Le métier ne nécessitait pas d’avoir de l’instruction.
Marie Roy (pour en savoir plus sur sa vie, c'est par ici)est née le 15 février 1785 à Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne). C’est la fille de Jacques Roy, brassier et de Jeanne Mittaut. Elle a quitté sa ville natale pour s’installer sur Bordeaux en 1818.
Augustine Labbé voit le jour durant l’année 1834 à Saint-Claude-de-Diray dans le Loir-et-Cher (un article à paraître lui sera consacré à la lettre X). Ses parents exercent des métiers liés à la terre, ils sont vignerons. Elle est employée comme domestique à Blois.
Marie Rouzade est née le 26 juin 1835 à la Canéda en Dordogne ses parents sont tous deux cultivateurs. Ses parents sont issus du monde agricole. Elle trouve une place de domestique sur Bordeaux.
Madeleine Frèche est née en 1886 à Casteljaloux dans le Tarn-et-Garonne. Elle quitte le foyer familial pour s’installer elle aussi sur Bordeaux en tant que domestique.
Ces jeunes femmes ont exercé leurs métiers surtout dans les grandes villes. D’autres en revanche sont employées dans des communes de taille réduite comme Mandeville ou Saint-Didier-des-Bois (Eure).
Direction maintenant la Normandie avec Florestine Sophie Picard. Florestine est née en 1855 à Vraiville (Eure). Elle exerce la profession de domestique à Mandeville. La ville compte 218 habitants en 1876. Elle est la fille d’un bourrelier et d’une ménagère. Le bourrelier est un artisan fabriquant des pièces d’attelage en cuir pour les chevaux par exemple. Il s’agit d’une famille modeste.
Plus tard, deux de ses filles, Louise Rachel Boulant née en 1881 et Amandine Augustine Boulant née en 1887 exerceront le métier de domestique sur Saint Didier des Bois, une commune de 154 habitants en 1901.
La perte d’un parent (ou une enfance difficile) pouvait déclencher le placement de ces filles dans des familles pour être bonnes. Marie Roy perd son père à l’âge de 14 ans, elle est âgée de 33 ans quand elle déménage sur Bordeaux. La perte de son père n’est pas la conséquence directe de son placement. En revanche, Noélie Héris (un article lui est consacré) a perdu sa mère au moment de sa naissance. Elle se retrouve orpheline et sans famille. Elle a dû être placée jeune en tant que domestique. Pour Augustine Labbé, le décès de son père en 1852 a contribué à son placement sur Blois. On l’y retrouve en 1856 lors du recensement de population.
Les employées de maison sont la plupart du temps logées chez l’employeur. Marie Roy résidait rue de l’Intendance à Bordeaux avec son patron Monsieur Guillaume Jean Baptiste Catherine Tardieu, receveur du droit d’enregistrement des actes judiciaires. Augustine Labbé habitait route Casse de Paris à Blois avec ses employeurs Monsieur Berthier Léonard Napoléon Charles et sa femme Madame Brian Nathalie Joséphine. Noélie Héris vivait 50 rue du Cancera à Bordeaux chez Monsieur Auguste Dejean, fumiste.
Celles qui ne sont pas logées chez l’employeur gardent leur indépendance en dehors des heures de travail. Florestine Sophie Picard bien qu’étant domestique réside toujours avec son père Jean Pierre Picard et sa mère Euphrasie Lefebvre à Mandeville. Amandine Boulant vit avec sa mère Florestine Sophie Picard en 1901 à Saint-Didier-des-Bois.
Du Moyen âge jusqu’au XIXe siècle, les servantes sont presque toujours célibataires.
Mes ancêtres étaient toutes célibataires sauf Louise Rachel Boulant. Le 16 février 1899, Louise Rachel Boulant met au monde Fernande Albertine. Louise Rachel est toujours domestique et sa fille vit avec sa grand-mère maternelle Florestine Sophie Picard. L’enfant sera reconnu par sa mère le 12 octobre 1899 puis légitimée par le mariage de ses parents en 1900. Louise Rachel portera ainsi le nom « De Rudder ».
Les mariages des domestiques se font généralement plus tardivement que les autres (notamment le temps de se constituer une dot). Emilie a rédigé un article consacré au Mariage entre domestiques qui complète mes propos. Être domestique constitue un inconvénient qui perturbe le calendrier familial.
Marie Roy, qui épouse en 1821 Miguel Hermenegildo Corral (un article lui est dédié), est âgée de 36 ans. Marie Rouzade a 29 ans lorsqu’elle épouse Jean Azéma. Noélie Héris est âgée de 28 ans lorsqu’elle se marie.
Cependant ce métier n’a pas eu d’impact sur l’âge au mariage pour certaines de mes ancêtres.
Madeleine Frèche épouse Fernand Gaudeboeuf lors de sa vingt-cinquième année. Marie Augustine Labbé est âgée de 24 ans lors de son mariage. Florestine Sophie Picard a 19 ans lorsqu’elle épouse Alfred Polite Boulant. C’est aussi le cas de leur fille Louise Rachel Boulant. La plus jeune mariée étant Amandine Boulant. Le 25 septembre 1905, elle est alors âgée de 18 ans quand elle se marie avec Antoine Pillard.
Les employées de maison abandonnent leur emploi pour pouvoir se marier et fonder une famille. Ce métier constituait un mode d’entrée dans la vie active. On ne demeurait pas bonne toute sa vie. Ces femmes restaient au service des autres pas plus de sept ans.
Marie Rouzade exercera plusieurs métiers dont celui d’aubergiste (article à paraître, Jeanne et Marie, deux aubergistes) après son mariage. Augustine Labbé deviendra sage-femme (article à paraître). Florestine Sophie Picard travaillera comme tisseuse.
Louise Rachel Boulant n’abandonna pas cette profession après son mariage. En 1900, Louise Rachel épouse Joseph Louis De Rudder. Le couple donne naissance en 1901 à Adolphe André Robert leur deuxième enfant. Louise est toujours mentionnée comme domestique. Un détail est surprenant, le couple ne réside pas au même endroit. Joseph son époux est journalier et il est domicilié à Crasville dans le canton de Louviers tandis que Louise demeure à Saint-Didier-des-Bois. Le couple vit à 6.2 kilomètres l’un de l’autre. Le 17 mai 1902 le couple divorce. Louise Rachel est accusée de proférer des injures graves contre son mari. Lors du recensement en 1906 à Saint-Didier-des-Bois, ses enfants Fernande et Robert vivent chez leur grand-mère maternelle, Florestine Sophie Picard. Louise n’y demeure pas. Le 25 janvier 1907, elle donne naissance à son troisième enfant Lucien Arthur Daniel Boulant, elle est toujours domestique. En 1911, Florestine Sophie Picard n’accueille plus ses petits-enfants. Louise a dû déménager et vit avec eux.
Une hiérarchie chez les domestiques
Parmi les domestiques, il y avait une hiérarchie. On trouvait ainsi la cuisinière, la bonne d’enfants, la bonne à tout faire, la femme de chambre et enfin la femme de ménage. Il était possible de grimper dans l’échelle des domestiques ce qui permettait d’obtenir plus d’avantages (comme une chambre individuelle, des gages plus généreux…).
Augustine Labbé est employée comme femme de chambre. Le propriétaire Monsieur Berthier a également à son service deux autres domestiques : Benoist Silvain âgé de 39 ans et sa femme Girault Marguerite, 35 ans. Monsieur Berthier est âgé de 52 ans, tandis que sa femme n’a que 29 ans. Augustine était au service de la maîtresse de maison. Elle devait veiller à la garde-robe de cette dernière. Elle l’aidait à sa toilette, l’habillait, la coiffait, prenait soin de ses bijoux, la maquillait…ce qui était très intime. Une complicité a pu s’instaurer entre les deux femmes du fait de leur âge. Augustine était âgée de 22 ans, sa maîtresse en avait 29.
En fonction des revenus du foyer, le maître de maison ne pouvait avoir à son service qu’une simple servante appelée aussi bonne. Elle s’occupait de toutes les besognes. Elle nettoyait, rangeait et entretenait toutes les pièces de la demeure. La bonne était toujours la première levée. Elle pouvait allumer les poêles, préparer et servir les repas, brosser les habits, porter les messages, faire les courses, faire les lits, aérer les pièces, battre les tapis, laver les sols, cirer les meubles et parquets, astiquer les cuivres… Elles devaient être disponibles à toutes heures du jour comme de la nuit. La journée de travail était longue 15h à 18h.
Les femmes vivant sous le même toit que leurs employeurs étaient souvent logées dans les combles avec un mobilier restreint. Les conditions de logement des domestiques étaient parfois lamentables. Certaines avaient leur chambre individuelle tandis que d’autres s’entassaient dans des dortoirs collectifs.
Leurs obligations, devoirs
Les domestiques étaient tenues au respect, à l’honnêteté et à la fidélité. On les surveillait pour ne pas qu’elles volent. Les maîtresses de maison comptaient parfois leur argenterie.
Elles devaient vivre dans la plus grande discrétion, ne pas ébruiter les secrets de la famille. Elles sont supposées être invisibles. La famille leur accorde une protection et parfois de l’affection.
Dans les « bonnes maisons », toutes les employées portaient une tenue spécifique. Leurs vêtements devaient être propres. Une tenue irréprochable était exigée. La servante est souvent représentée avec sa robe noire, son tablier blanc et son bonnet.
Les domestiques avaient droit à un repos pour rendre visite à leur famille, et pour aller à la messe soit tous les dimanches soit un dimanche sur deux. C’était l’occasion de se retrouver en société et d’échanger.
Les employeurs et les étrennes
Il arrivait qu’un contrat d’engagement soit dressé entre le maître et les parents de la fille. Le livret domestique devint obligatoire en 1860. On y inscrivait la période d’emploi et le poste occupé. En 1868, une loi oblige le maître à donner un certificat en cas de résiliation. Ce livret servait à la fois de contrôle mais aussi de pression. Les employeurs pouvaient licencier les bonnes sans avoir besoin de fournir de motif. Lorsque le livret était complet et le comportement irréprochable, les femmes pouvaient espérer trouver une nouvelle place rapidement. Cela montre la toute-puissance des maîtres.
Les domestiques obéissaient aux maîtres qui prélevaient la moindre casse sur leurs modestes gages. Il y avait parfois des abus. Ces femmes étaient harcelées voire engrossées. Elles subissaient parfois des abus sexuels de certains maîtres ou de leurs fils, mais ce n’était pas une généralité.
Les domestiques des grandes maisons attendaient avec impatience Noël ou le premier janvier pour leurs étrennes. La plupart du temps, ils recevaient une petite somme d’argent mais aussi un objet comme un bijou. Ceux qui étaient logés, nourris et blanchis pouvaient se constituer un petit pécule cela permettait de compenser une rémunération monétaire très faible.
Jusqu’à la Première Guerre Mondiale l’Etat ne s’intéresse pas aux conditions de travail des gens de service. Les ouvriers sont mieux protégés concernant le travail des enfants, des femmes, le repos hebdomadaire, les accidents de travail, le repos des femmes en couches… Les domestiques ont dû attendre 1923 pour que la loi de 1898 soit appliquée afin de les protéger lors des accidents de travail. L’Eglise a tenté d’améliorer leur sort en instaurant le repos dominical, en créant des établissements de formation…
Blanche et Henriette, des employées de maison dans les années 1930
Blanche Marie Gaudeboeuf est née en 1894 à Bordeaux. C’est la fille de Noélie Héris (voir article) et de Jean Gabriel Gaudeboeuf (voir article). Ces noms ne vous sont peut-être pas étrangers, des articles leur sont dédiés. En 1912, Blanche épouse Edouard Henriot Gaury. De cette union naîtront deux enfants, André (en 1915) et Henriette (en 1920).
Après avoir été lisseuse comme vous avez pu le voir dans mon article précédent, elle devient cultivatrice. Malheureusement au cours de l’année 1937 son mari décède suite à un accident (déjà mentionné dans cet article). Elle devient veuve. Sa nouvelle condition la pousse à proposer ses services en tant qu’employée de maison. Il n’était pas rare de trouver des veuves comme domestiques.
Elle est d’abord employée de 1938 à 1941 par la veuve de Charles Pestouley dans le quartier de l’Epinette à Libourne. Son salaire est fixé au mois. Elle est assurée jusqu’en 1942 en tant que profession agricole.
En 1942, elle travaille désormais pour Madame Dupuy Leroux au 7 rue Faidherbe à Libourne. Elle habite chez cette dame. Dès 1943, elle est assurée en tant que profession non agricole. Elle est enregistrée par les assurances sociales comme « gens de maison ». Le 4 décembre 1945, Blanche fait une déclaration d’accident de travail qu’elle dépose à la mairie accompagnée d’un certificat médical conformément à la loi. Blanche a travaillé jusqu’à la fin de l’année 1948 pour Madame Dupuy Leroux. Elle a gardé des liens amicaux jusqu’à la fin de la vie de celle-ci.
De janvier 1949 à janvier 1951, elle est au service de Madame Hélène Guerra Roy, maîtresse sage-femme à l’hôpital hospice Etienne Sabatié à Libourne.
En 1951, elle est employée comme femme de ménage pour Madame Seguin, professeure habitant au 2 rue Dumas à Libourne. En avril et mai 1951, elle touche 4 680 francs pour 90 heures de travail. En juin 1951, elle a effectué 60 heures. Son salaire est alors fixé à 4 300 francs. En juillet et août 1951 elle touchera 3 700 francs. Le salaire varie donc certains mois. Blanche prend le mois suivant 6 jours de congé qui sont payés. La famille Seguin part ensuite pour un long voyage en Afrique.
Le 27 mars 1954, Madame Seguin écrit à Blanche depuis Mascara (Oran). Elle lui demande ses services pour les mois de juillet, août et septembre de cette même année. Elle lui propose de les rejoindre à Saint-Georges-de-Didonne pour s’occuper « du ménage, de la cuisine, du linge (repassage et un peu de raccommodage), de laver quelques petites choses puisque la laveuse vient faire le plus gros tous les quinze jours ». Elle lui offre 8 000 francs par mois en étant nourrie et logée. Elle lui propose de lui payer le voyage aller-retour de Libourne à Saint-Georges. Les deux femmes ont conservé un lien d’amitié. Madame Seguin apprécie le professionnalisme de Blanche. Les enfants ont également conservé un bon souvenir. Des liens d’affection se sont tissés.
Henriette Gaury suivra le même chemin que sa mère Blanche. Les employées de maison cessaient de fréquenter l’école très tôt, souvent vers 13 ans, parfois avant cet âge. Ce fut le cas d’Henriette. Elles ont souvent exercé un métier agricole avant de devenir bonne. Henriette a arrêté l’école avant l’âge de 13 ans pour aider ses parents qui étaient cultivateurs. Elle a été placée très vite chez la famille Fourcaud quai du Pont à Libourne. Elle était âgée de 12 ans. Elle y restera jusqu’à ses 19 ans. Elle m’a raconté qu’elle s’enfermait dans sa chambre de bonne par peur des histoires que les autres filles contaient sur les abus sexuels par les autres domestiques, les maîtres et leurs fils. Dans cette chambre les rats et les souris venaient lui rendre visite. La mère de Monsieur Fourcaud était une personne très dure et exigeante. Sa belle-fille était le contraire. C’est auprès de cette dernière qu’elle a appris à cuisiner, faire le ménage et tenir une maison. Elle cirait les planchers, nettoyait l’argenterie et les cuivres. Elle s’occupait aussi de leurs trois enfants avec lesquels elle a gardé des liens toute sa vie ainsi qu’avec son ancienne patronne. Ils l’emmenaient avec eux lorsqu’ils partaient en vacances dans leur château de Gaudusson situé dans la vallée du Lot.
De juillet 1939 jusqu’au 31 décembre 1941 elle est employée chez un notaire, Monsieur Eymen rue Thiers à Libourne face au musée Robin. Elle vivait dans cette demeure lorsqu’elle a rencontré son futur époux qui habitait rue Paul Bert.
Maître Monroux, avocat au barreau de Libourne l’emploiera de 1942 jusqu’en 1962 à la journée. Elle réside désormais avec son mari et ses trois enfants.
Elle travaillera également de 1962 à 1971 chez le docteur Lafond, obstétricien gynécologue. Puis de 1971 jusqu’à 1972 chez Monsieur et Madame Rebeyrole, un professeur d’anglais et une pharmacienne. Enfin de 1972 à 1975 chez Madame Renon Blanche.
Puis, elle s’occupera de ses petits-enfants.
Je dirais en conclusion qu’entre les années 1880 et 1930, le nombre de domestiques chute considérablement. La Première Guerre Mondiale a ruiné certaines familles aisées. Les femmes préfèrent se tourner vers les usines ou les ateliers. Le développement de la scolarisation permet d’entrevoir la possibilité d’exercer d’autres métiers dont les métiers de bureaux (secrétaires) ou ménagers. Le métier ne disparaît pas pour autant. Les très riches familles ont toujours des employées de maison, en témoigne une célèbre série, « une Nounou d’enfer ».
Il se peut que vous ayez également des ancêtres employées de maison.
Edition d’Ophélie
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