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Photo du rédacteurEmilie et Ophélie

Jeanne et Marie, deux aubergistes




Ne soyez pas timide, avancez-vous ! Jeanne et Marie sont prêtes à vous accueillir dans leurs auberges. La réception est simple dans des lieux chaleureux pour un prix modeste.





L’aubergiste avait une maison meublée pour nourrir et loger les voyageurs ou passants en échange d’argent. C’était un lieu de rencontre et de sociabilisation. La cuisine était la salle principale de l’auberge. Depuis l’édit de 1577, chaque tenancier devait inscrire le nom des clients qui s’arrêtaient pour une ou plusieurs nuits. Cette obligation est encore en usage de nos jours. Le Code civil a fixé des règles vis-à-vis de cette profession. Elles ont été promulguées le 24 mars 1804. Ces dernières concernent la responsabilité des aubergistes et des hôteliers vis-à-vis des biens qui sont déposés chez eux. Les 3 articles prévoient :



Les aubergistes ou hôteliers répondent, comme dépositaires, des vêtements, bagages et objets divers apportés dans leur établissement par le voyageur qui loge chez eux ; le dépôt de ces sortes d'effets doit être regardé comme un dépôt nécessaire.



Ils sont responsables du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs domestiques et préposés, ou par des étrangers allant et venant dans l'hôtel.


Cette responsabilité est illimitée, nonobstant toute clause contraire, au cas de vol ou de détérioration des objets de toute nature déposés entre leurs mains ou qu'ils ont refusé de recevoir sans motif légitime.


Dans tous les autres cas, les dommages-intérêts dus au voyageur sont, à l'exclusion de toute limitation conventionnelle inférieure, limités à l'équivalent de cent fois le prix de location du logement par journée, sauf lorsque le voyageur démontre que le préjudice qu'il a subi résulte d'une faute de celui qui l'héberge ou des personnes dont ce dernier doit répondre ».


La loi du 16 février 1892 modifie l’article dans le sens de la limitation de la responsabilité des hôteliers et des aubergistes.


« Cette responsabilité, en tant qu'elle procède du fait d'un voyageur ou étranger, est limitée à mille francs pour les espèces monnayées et les valeurs ou titres au porteur de toute nature non déposés réellement entre les mains des aubergistes ou hôteliers.


Les aubergistes ou hôteliers ne sont pas responsables des vols ou dommages qui arrivent par force majeure, ni de la perte qui résulte de la nature ou d'un vice de la chose, à charge de démontrer le fait qu'ils allèguent.


Par dérogation aux dispositions de l'article 1953, les aubergistes ou hôteliers sont responsables des objets laissés dans les véhicules stationnés sur les lieux dont ils ont la jouissance privative à concurrence de cinquante fois le prix de location du logement par journée.


Les articles 1952 et 1953 ne s'appliquent pas aux animaux vivants ».


Cela signifie que les aubergistes devaient être très vigilants vis-à-vis des biens de ses clients car si des objets disparaissaient leurs responsabilités étaient alors engagées. Les aubergistes avaient donc une obligation de « garde » des différents objets ou vêtements...


Jeanne et Marie ont dû observer attentivement toutes ces règles.


Marie est la première à s’installer comme hôtelière sur Libourne en Gironde, par conséquent, je commencerai par son histoire.


Marie Rouzade est aubergiste avec son époux. Son nom ne vous est peut-être pas inconnu puisque je vous ai décrit le début de sa vie en tant que domestique dans mon article précédent, Employées de maison ou domestiques.


Marie épouse le 12 mars 1864 à Bordeaux, Jean Azéma. Elle retourne vivre avec son mari sur Carsac (Dordogne) là où elle était née. Puis le couple s’installe à La Canéda (commune de Sarlat). Jean Azéma est cuisinier en 1865 ce qui est un avantage pour l’ouverture d’une future auberge. Être aubergiste ne nécessitait pas de qualification spécifique.


Le couple déménage pour venir sur Libourne en 1872. Lors de la naissance de leur fils Léon, le 6 novembre 1872, ils sont enregistrés en tant qu’aubergistes. Ils vivent au 19 rue Saint-Emilion à Libourne avec leurs fils Alfred (8 ans) et Jean Prosper (7 ans). Jean est âgé de 32 ans et Marie en a 37.


Rue de Saint-Emilion - Plan cadastral de Libourne 1845 (AD Gironde)


Rue Saint-Emilion aujourd’hui


La rue de Saint-Emilion est devenue la rue Roudier en 1906. C’était un axe stratégique pour l’installation d’une auberge. La maison donnait sur la place des Casernes.


La famille Azéma faisait partie des aubergistes en capacité de recevoir les militaires.


Certains logeaient les officiers comme Louis Ansonneaux installé au 49 rue Montesquieu. D’autres pouvaient accueillir des chevaux dans leurs écuries particulières. La veuve Dumois pouvait loger jusqu’à 25 chevaux. Au 6 rue du marché aux Farines, Madame Barbe Marie veuve Seize était en capacité de recevoir 20 chevaux. On trouvait à Libourne des auberges ayant des écuries de taille variable, la plus modeste logeait 3 chevaux tandis que la plus importante avait une capacité de 30 places.


La concurrence entre aubergistes était rude. J’ai pu recenser au cours de l’année 1872 au moins 41 aubergistes sur Libourne. Dans une même rue, il n’était pas rare de trouver plusieurs enseignes. Marie Rouzade et son époux n’étaient pas les seuls à tenir une auberge rue Saint-Emilion. Ils avaient deux autres concurrents, Pierre Picot et sa femme Marie Faix au numéro 10 et Madame Paluteau Catherine femme Barat au numéro 72.


Ils faisaient parfois appel à des domestiques pour les assister dans leurs tâches. Marie Rouzade et Jean Azéma emploient Maria Rouzade en 1872. En 1876, Louise Domingot est à leur service.


Au cours de l’année 1872, les aubergistes n’étaient que 8 à être originaires de Libourne. Beaucoup venait de Dordogne comme Marie Rouzade. D’autres villes de Gironde ont vu naître nos futurs et futures aubergistes. Il y en a même qui arrivaient de très loin pour installer leur commerce sur Libourne.



Ils étaient aussi relativement jeunes ce qui est le cas pour Marie et Jean. Les femmes avaient entre 30 et 34 ans tandis que les hommes avaient entre 40 et 44 ans.



En 1876, le couple déménage au 34 rue du Pont mais ils restent dans la même ville. Ils ont eu comme pensionnaire Désiré Legéron, un cordonnier de 18 ans venant de la Loire. Leur fils Léon est âgé de 4 ans à cette époque. Ses frères aînés, Alfred et Jean Prosper ont 12 ans et 11 ans.


Généalogie de la famille Azéma


Marie et Jean ont dû exercer cette activité jusqu’au début des années 1880. Jean devient ensuite cultivateur. En 1888, lors du mariage de son fils Jean Prosper, il apparaît en tant qu’entrepreneur en terrassement.


Dans la même ville, Jeanne Dunoyer vous ouvre les portes de sa maison. D’abord elle tient une auberge au 3 rue des Moulins puis déménage et demeure durant plusieurs années au 101 rue Neuve.


Rue Neuve - Plan cadastral de Libourne 1845 (AD Gironde)


La maison est située dans le centre-ville. Une position stratégique puisque la rue Montesquieu et la place de la Paix sont des lieux de passage importants. Les auberges se situaient souvent dans le centre-ville, près des principaux axes de circulation que ce soit les rues, les routes, les carrefours ou les places. Libourne était réputée pour ses marchés et ses foires. Il fallait pouvoir accueillir et loger les visiteurs.


La rue Neuve Aujourd’hui


De nos jours, la rue Neuve correspond à l’actuelle rue du Président Doumer (nom donné en 1932).


Jeanne Dunoyer est née le 25 novembre 1847 à Bourgnac en Dordogne. Le 11 mai 1873, elle épouse Baptiste Gimel à Sourzac. Ce couple de cultivateurs part tenter sa chance en ville dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils s’installent à Libourne d’abord rue des Moulins de 1874 à 1884. Puis le couple déménage au 101 rue Neuve.


En 1881, Jeanne âgée de 34 ans devient aubergiste tandis que son mari est employé de l’octroi. Il n’était pas rare de trouver des femmes tenant seule une auberge. Le couple vit avec ses 6 enfants. Léontine l’aînée est âgée de 14 ans. Marie est âgée de 7 ans tandis que son frère Auguste dit Léonce en a 5. Les deux derniers Amédée et Henriette ont 2 ans et tout juste 2 mois.


Généalogie de la famille Gimel


Le recensement permet de connaître trois de ses locataires. Il s’agit de Guillaume Rozier, un tonnelier âgé de 28 ans, Joseph Madelmon âgé de 14 ans et Jean-Baptiste Juste, un portillon de 37 ans.


Malheureusement, le 18 janvier 1882, le couple perd un enfant. Marie s’éteint à l’âge de 7 ans et demi.


Le 11 avril 1884, lors de la naissance de René Gimel, Jeanne et Baptiste apparaissent tous les deux en tant qu’aubergistes. Le 4 mars 1886, pour celle de Paul Georges Gimel (un article lui est dédié), ils sont répertoriés en tant que restaurateurs. Baptiste vient prêter main forte à sa femme. Cela est confirmé par le recensement de population de l’année 1886, Baptiste y apparaît aussi comme aubergiste. C’était des aubergistes restaurateurs.


Le métier se faisait la plupart du temps en couple pour faire face aux différentes contraintes.


La maison devait être animée avec les 6 enfants. L’aînée Léontine a quitté le foyer familial. Elle s’est mariée le 24 juillet 1884.


En 1886, Auguste est âgé de 10 ans, Amédée a 6 ans, Henriette en a 5, Augustine (cf. article sur les bébés prématurés) est âgée de 4 ans, René a tout juste 2 ans et Paul a 3 mois. La famille accueille plusieurs pensionnaires dont Jules Thomas âgé de 42 ans et Paul Saugnac âgé de 25 ans.


En 1896, lors du recensement de population, Jeanne héberge un autre pensionnaire, Pierre Labat âgé de 33 ans, fumiste. Désormais les enfants ont grandi, ce sont de jeunes adultes et des adolescents. Auguste est âgé de 20 ans et il exerce déjà la profession de menuisier. Amédée âgé de 16 ans est fumiste. Henriette, 14 ans, est giletière. Augustine, à tout juste 13 ans est lisseuse. Les deux derniers René et Paul ont respectivement 12 ans et 10 ans. Il se peut qu’Amédée Gimel ait travaillé avec Labat Pierre puisque tous les deux étaient fumistes.


Jeanne se retrouve de nouveau seule à s’occuper de l’auberge. En 1894, Baptiste devient garçon baigneur (employé dans un établissement de bains publics).


Les pensionnaires étaient nourris, logés et blanchis. Ils étaient rarement plus de trois à la fois dans cette auberge. Jeanne Dunoyer avait fort à faire pour s’occuper de tout ce monde. Elle devait préparer les repas dont celui de ses pensionnaires ce que suggère le terme de « restaurateur », puis laver la vaisselle. Elle était sûrement assistée le soir par ses filles. Elle se chargeait sûrement du lavage des draps.


Le parcours de ces deux femmes aubergistes est semblable. Tout d’abord Jeanne et Marie sont toutes les deux originaires de Dordogne. Elles viennent s’installer avec leurs maris sur Libourne durant la même décennie, Marie en 1872 et Jeanne en 1874. Elles deviennent aubergistes assez jeunes, Marie a 37 ans tandis que Jeanne en a 34. Cette activité ne durera que quelques années. Chacune devait avoir sa propre enseigne. La concurrence entre les aubergistes étant rude un établissement pouvait s’effondrer du jour au lendemain. Leurs entreprises n’ont sans doute pas été assez rentables. Elles se retrouvent ensuite sans emploi. Leurs époux changent de profession.


Leur destin est aussi lié puisque Marie Rouzade et son mari sont les grands-parents de la future femme de René Gimel (cité plus haut), Yvonne Azéma. Vous avez déjà fait sa connaissance dans mon article sur « Des femmes autour de l’entretien du linge ».


Généalogie de la famille Azéma-Gimel


Ces deux femmes ont de nombreux points communs. Elles se retrouvent seules après le décès de leurs époux et le départ de leurs enfants qui sont allés construire leur vie ailleurs.


Marie Rouzade devient veuve en 1893. Son petit dernier, Léon se marie en 1895. En 1896, elle habite au 18 rue Saint-Julien à Libourne avec sa petite-fille Yvonne Azéma qui est alors âgée de 6 ans. Cette cohabitation est temporaire.


Jeanne perd son mari en 1914. Son plus jeune fils, Paul Georges Gimel est déjà marié depuis 1911.


Les similitudes perdurent jusqu’à la date de leur décès. Marie et Jeanne sont décédées à l’âge de 70 ans et à la même date c’était un 29 mars !


Marie Rouzade décède le 29 mars 1906. Elle était devenue employée pour la fabrique Saint-Jean appartenant à l’église.


Jeanne Dunoyer quant à elle restera sans profession jusqu’à son décès le 29 mars 1918.


Avez-vous des ancêtres ayant été hôteliers ?


Edition d’Ophélie

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